Certains écrivains ont une réputation, d'autres quasiment une aura, alimentée non par la lecture ou l'étude de leurs textes, mais par le fantasme qu'on s'en fait en fonction d'intérêts propres. Une fois adoptés par le plus grand nombre, ils voient leur pensée se diluer dans le premier système venu, dès lors qu'ils peuvent servir à neutraliser d'autres écrivains. Ainsi en va-t-il de Camus. Tout le mérite du livre d'Olivier Gloag – Oublier Camus – est de remettre les pendules à l'heure sur l'auteur de La Peste.
Read More"L'éléphant se laisse caresser; le pou, non", a écrit Lautréamont. Je pense qu’on peut ajouter le livre en cours à l’acarus sarcopte du père Ducasse. Oui, ce livre-pas-encore-livre dont on a cru, plan à l’appui, qu’il aurait l’obligeance de se plier à nos désirs d’écriture et nos velléités d’architecture.
Read MoreL’émission d’Augustin Trapenard sur les classiques a été largement commentée. Il faut dire qu’elle prêtait le flanc aux critiques, voire aux quolibets ou à l’indignation.
Read MoreAvant de travailler sur ma traduction en cours, je consulte comme d'habitude le fil des actualités. Cormac McCarthy est mort. Il est mort la veille. Stella Maris. Etoile de mer. Etoile de ciel. Astronautes. Catastrophes. Champignon atomique dans le ciel. Connections. Hasards. Fin.
Read MoreL’ouvrage n’existe plus, il n’est plus réimprimé. Fautes d’impression rassemblait des notes et des entretiens d’Heiner Müller. Parmi ces textes, choisis par Jean Jourdheuil, celui-ci : Penser est fondamentalement coupable. [Si le livre est désormais indisponible chez L’Arche, un autre recueil d’entretien est paru, en 2019, aux éditions de Minuit, mais sans ce texte]. Quelques pensées, en éclaireurs, arrachées ici.
Read MoreDans le consternant naufrage de l’époque, l’histoire ne se contenterait donc pas de se répéter, d’un hiver à l’autre, et d’une vague à l’autre (il en venait toujours : comme les étoiles), de la tragédie à la farce : cette fois, la farce elle-même se répétait, rejouant sa propre tragédie.
Read MoreNotre principale défense contre le danger n'est pas de se désengager de notre sociabilité, ni de se plier passivement à une panique personnalisée ou à l'acceptation aveugle de toute sorte de restriction. Surmonter la peur passe par la conscience que nous vivons parmi des dangers que nous pouvons gérer précisément parce que nous pouvons, à travers nos pratiques sociales collectives, inventer collectivement des formes, des mesures et des techniques collectives qui rendent nos vies meilleures et moins dangereuses. C'est exactement le pari qui est maintenant devant nous.
Read MoreLe style d'un écrivain est-il l'équivalent d'une empreinte digitale? A peine posé sur le papier, l'index de sa plume – qu'on me pardonne cette union de la loi et de l'oiseau –, encré de longue mémoire, imprimerait l'indélébile complexité de son œuvre en devenir perpétuel.
Read MoreDes remous causés par la traduction d’un poème ? Hum. Des remous sans rapport aucun avec la qualité de ladite traduction ? Double hum. L’affaire est pour le moins étrange, et depuis quelques jours certaines voix se sont élevées pour débattre du sujet.
Read MoreDe tous les poètes contemporains, vivants, brûlants, c'est sans doute celui qui m'a fait la plus forte impression. Ecrivant cela, j'aimerais que cette formule, si convenue – la plus forte impression – puisse être entendue comme pour la première fois, dans sa précision sensible : la plus forte impression. Cédric Demangeot est décédé dans la nuit du 27 janvier 2021.
Read MoreDepuis le 11 janvier dernier, j'ai rejoint les éditions Inculte en tant qu'éditeur associé. En gros, je dois apporter des projets et les suivre, essentiellement dans le domaine français. C'est la première fois de ma vie que je travaille dans un bureau autre que le mien, et je découvre donc la vie de bureau.
Read MoreOn demandera alors — pas deux fois, et avec force matraques et uniformes — de quitter les lieux. Déguerpir serait plus juste. On déguerpit donc. On remplit une valise, en hâte ; on laisse les assiettes sur la table, le verre à moitié vide, à moitié plein. Il est deux heures de l’après-midi, tout est fini. On leur dit vous reviendrez dans deux jours, trois peut-être. Personne ne reviendra plus jamais.
Read MoreLes héros des bandes dessinées à succès sont toujours conçus pour que le lecteur puisse s'identifier à eux. Soit avec leur force, soit avec leur faiblesse. Dans un cas, cependant, l'identification n'était ni avec la force ni la faiblesse, mais avec l'ingéniosité et l'humanité. Et c'était Mafalda.
Read MoreOn n’avancerait plus que masqués : mais seulement la moitié du visage. Assez pour être vus et suffisamment pour n’être pas reconnus ? Ce qu’il faut pour ne pas pouvoir respirer. Evidemment, le masque est le fétiche parfait de l’époque, son incarnation. Jusqu’au renversement du stigmate. Les masques qu’on interdisait autrefois — il y a deux mois — dans la rue sous peine de matraque, on les oblige désormais : sous quelle peine ? Monde qui suffoque, impose à tous cette odeur de renfermé subie dedans, subie désormais dehors.
Read MoreJ’imagine leur petite satisfaction intérieure, quand ils se disent : au moins, il n’y aura pas d’après, ce sera juste une très lente relaxation du maintenant, au pire on aura qu’à agiter le grand épouvantail du deuil national pour empêcher les mécontents de la ramener. On ne passera pas de l’état d’urgence à l’urgence de changer l’Etat, ouf. On baissera les amendes, le périmètre de jogging sera agrandi, les gens pourront entrer à deux puis trois puis quatre dans les boulangeries, les librairies lèveront de quelques centimètres par jour leur rideau de fer, on vendra deux fois moins cher le coffret dvd de Grey’s Anatomy, etc. On ne laissera pas dire, pas faire, pas penser, pas circuler – enfin, pas comme ça. Il faudra la jouer subtile. Humble. De toute façon, on va leur demander de redresser l’économie, alors ils auront autre chose à faire que nous chercher des noises…J’imagine – aussi – leur étonnement si ça ne se passe pas tout à fait comme ça.
Read MoreTout récemment, il y a cette phrase, de la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie, à propos du port du masque, rendu obligatoire (nécessité que je ne discute évidemment pas) : "Je pense que chaque consommateur sera assez vite en position de choisir ce qui lui convient le mieux. En fonction du rapport qualité/prix, de la durabilité, du confort ou du style. » — Ainsi, pour Agnès Pannier-Runacher, même devant la mort possible, l’être humain est d’abord un consommateur.
Read MoreLes informations sont contradictoires. Paniques anxiogènes ou dangereux je-m'en-foutisme, intérêt des États ou solidarité internationale, précautions qui ne mangent pas de pain ou abus policiers... Alors, il y a des jours où je préfère partir en voyage, de chez moi à chez moi.
Read MoreC'était mon premier feuilleton de rentrée 2018 dans Le Monde des Livres, lors de la parution d'Idiotie, de Pierre Guyotat, mort il y a quelques jours à l'incessant mitan de son œuvre — une œuvre que j'ai découverte au début des années 1980 et qui, livre après livre, m'a été tuteur, défi, énigme, partition, horizon, scandaleusement proche et terriblement lointaine, une œuvre que je m'étais mise à relire intégralement et chronologiquement il y a deux ans, la redécouvrant comme si sa masse critique avait enfin libéré toute sa complexe énergie.
Read MoreDans l’extrait d’Apostrophes qui tourne en boucle ces derniers temps sur internet, ce qui me frappe, c’est la toute fin de l’émission. Quand Matzneff est réellement surpris de la violence de l’attaque de Denise Bombardier, mais, en fait, quand il est surpris par deux autres choses. La première, c’est que visiblement à l’inverse de tous les autres invités, à commencer par Pivot lui-même, elle, elle ne tombe pas sous son charme et elle ne sourit pas quand il parle. Elle ne l’admire pas. Parce que, tous les autres, finalement, ils sourient, d’un sourire gentil : « le gentil farfadet que voilà... » ou « celui-là alors... ». Et puis, il est surpris par l’attaque elle-même : comment se fait-il que la vie, la société, vienne le juger, lui — pas lui Gabriel Matzneff, non. Lui, l’écrivain. Lui, le grand écrivain. L’esthète. La littérature.
Read MoreLes 30 et 31 décembre derniers, la BBC Four a diffusé le documentaire en deux parties de Martin Davidson & Nick Watts, “Lost Home Movies of Nazi Germany”. Les films tournés par les soldats allemands à Paris sont époustouflants, touristes en uniformes vivant le fantasme joyeux de la ville lumière. Le port de l'étoile jaune est tout aussi révoltant.
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