Mat, mat aficionado, le parcours de Weegee
J'ai rien vu, j'peux rien dire - J'palpais les Richelieu derrière ma caisse - Ça t'a plu, laiss' pas r'froidir - C'est le moment d'allonger la fraîche - Mat'Mat'Aficionado…MetsMets-t-en plein la vue - Mat'Mat'Aficionado - Plein la vue. Tireur d’élite avant de devenir photo-reporter de crime, puis de célébrités avant de jouer des effets pour faire réagir les regardeurs, Weegee laisse une œuvre immense. Retour sur un parcours passionnant et pas dupe de sa portée à la Fondation HCB.
Il y a une énigme Weegee. La carrière du photographe américain semble être scindée en deux. Tout d’abord, les clichés chocs parus dans la presse tabloïde nord-américaine : cadavres de truands gisant dans leur sang, corps incarcérés dans des véhicules emboutis, petits caïds à la mine patibulaire derrière les grilles du fourgon carcéral, taudis vétustes dévorés par le feu et quelques autres documents poignants sur la vie des plus démunis à New York entre 1935 et 1945. Ensuite, ce sont des images festives – soirées mondaines, spectacles de saltimbanques, foules en liesse, vernissages et premières –, auxquelles il faut ajouter un corpus pléthorique de portraits de personnalités publiques que le photographe s’est amusé à déformer par l’entremise d’une très riche palette de trucages entre 1948 et 1951, et qu’il poursuit jusqu’à la fin de sa vie. Comment ces deux corpus, aussi diamétralement opposés, peuvent-ils coexister au sein d’une même œuvre photographique ? Les exégètes se sont plu à renforcer l’opposition entre ces deux périodes, à encenser la première et à détester la seconde. L’exposition Autopsie du Spectacle a pour ambition de réconcilier les deux Weegee en montrant qu’au-delà des différences de formes, la démarche du photographe repose sur une réelle cohérence critique.
La question du spectacle est omniprésente dans l’œuvre de Weegee. Dans la première partie de sa carrière, qui correspond historiquement à l’essor de la presse tabloïde, il participe à la transformation du fait-divers en spectacle. Pour bien le montrer, il inclut souvent des spectateurs ou d’autres photographes au premier plan de ses images. Dans la seconde moitié de sa carrière, Weegee se moque du spectaculaire hollywoodien : de ses gloires éphémères, des foules qui les adulent et des mondanités qui les entourent. Quelques années avant l’Internationale Situationniste, il offre à travers ses photographies une critique incisive de la Société du Spectacle.
Nouvelle lecture de l’œuvre de Weegee, Autopsie du Spectacle présente des icônes du photographe aux côtés d’images moins connues et jamais montrées en France. Clément Chéroux (Directeur, Fondation Henri Cartier-Bresson )
L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir… C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout. Guy Debord - La Société du spectacle
Activiste par son travail, mais jamais militant, Weegee aura proposé une réflexion sur la mondialisation du spectacle en cours d’installation au fil des années 50. Après avoir montré - et scénographié - les turbulences quotidiennes américaines via le crime, les accidents, les mœurs en cours d’évolution et les reflets que la société voulait mettre en avant, le photographe s’est intéressé à la position du regardeur, en soupçonnant d’abord qu’il était intégré au spectacle ; avant de le montrer démonté sans fard en usant d’artifices divers et en déformant les poncifs des stars ou des gens illustres. Parcours de choc en choc et de l’horreur à l’horreur ( du spectacle). A rose is a rose is a rose …
Jean-Pierre Simard, le 30/01/2024
Weegee - Autopsie du Spectacle-> 19 mai 2024
Et, en complément, le catalogue éponyme publié chez Textuel Textes de Isabelle Bonnet, David Campany, Clément Chéroux et Cynthia Young, 20 x 26 cm, 208 pages