La chanteuse aux trois maris, le roman familial de Nicolas Richard
Les destins croisés et les amours contrariées de deux femmes atypiques dans les années 1920, l'une médecin, l'autre chanteuse de cabaret, dont les existences mouvementées et parsemées d'étranges décès emmènent le lecteur de Paris à Alger, de Toulouse à Dakar. Au programme : prestidigitation, morphinomanie, sorcellerie africaine et dancing ! Mais qui est l’idiot de la famille, hein ?
Envoyé sur le ton de la confidence ou presque, ce whodunit d’excellente facture fait chavirer son lecteur, tant il est tentaculaire. A se propager de Paris à Toulouse, de Montevideo à Dakar, du Niger à Buenos Aires pour tenter de cerner le pourquoi d’un tel gâchis familial en glissant l’accordéon du temps et en modulant tango ( « Moi je suis tango tango » chantait Guy Marchand) pour le blues du temps qui passe, effrite et rougit de malheur les proches de ce calvaire qui coule des années 20 du siècle précédent aux années 2.0 en point d’orgue.
On adore le récit raconté au féminin pluriel – assez sauvage- le féminin, mais on vous laissera le découvrir au fil des quelques 280 pages qui rappellent le roman populaire du XIXe siècle. Actualisé en formule 2.0 pour le ton ouvertement 2024 qui donne leurs justes places aux personnages féminins, leurs envies, leurs destinées et leurs vies vécues sans être à l’ombre de quiconque, sauf le temps de se dé/retourner pour trouver une autre direction. Et, au passage, on notera les atmosphères des lieux, qu’il s’agisse de la fumée d’un cabaret parisien, d’un hôpital toulousain, d’une vie de colon au Niger ou d’une ferme équestre aux alentours de Dakar.
Impossible de faire l’impasse sur le Jorge Amado de Dona Flor et ses deux maris, prototype du roman picaresque avec magie à la clé et truculence soutenue, sauf qu’ici, Nicolas Richard allusif, joue sur d’autres ressorts, avec ses femmes multiples, ses filles, rescapées des malheurs des autres, privées de leur pères respectifs et qui cherchent la trame du roman familial, quitte à la trouver longtemps après, aux derniers jours de vies passées à se questionner sur ce whodunit galopant.
On en sort lessivé, on en sort conquis, on en sort rasséréné que la fin se trouve dans le début de l’histoire et que l’on se soit laissé prendre, sans voir plus loin que ce qui se donnait comme énoncé de départ pour s’avérer quelque peu lacunaire.
Mirage familial reconstitué après enquête, roman magistral qui vous perd pour mieux vous emmener ailleurs, roman de souvenirs à motifs « comprend qui peut » avec ses allusions à Ménil, ancienne plaque tournante des exactions de l’auteur. Et vous n’y couperez pas, puisque c’est Nicolas Richard l’auteur ; l’idiot de la famille, c’est vous… hypocrite lecteur, mon semblable , mon frère !
J-P Simard le24/01/2024
Nicolas Richard - La Chanteuse aux trois maris - Editions Inculte