La fin de juillet ou une saison en enfance

Histoires de familles, conflits entre générations et souvenirs d’un été… Maria Rostocka dépeint une série de portraits à travers les membres d’une même famille qui cohabitent dans la maison maternelle le temps des vacances. Trois générations, comme trois fois le même personnage à diverses époques ; trois versions enfant, adolescent et adulte qui s’opposent, s’affrontent, s’évitent…

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L’été est un temps à part. Dans l’enfance c’est souvent le temps de la découverte et des copains. À l’adolescence c’est le temps où on se cherche et des premiers amours. L’âge adulte : c’est celui de la pause, des vacances et des grands projets.

Pour tous, l’été c’est aussi le temps de l’ennui, de l’abandon et de l’éloignement.  

Le jeune Alek subit la méchanceté de sa grand-mère et l’indifférence de sa mère. Monika laisse son fils faire ses expériences tout en fuyant la maison, pour retrouver le père d’Alek. Lui est plus intéressé par un coup d’un soir avec son ex que voir son fils, dont il ignore l’âge ou le nom. La grand-mère passe son temps devant des soaps à la Tv et à se plaindre de sa fille et petit fils, seul le chien trouve grâce à ses yeux. En creux, l’absence du père pour Monika, pour Alek mis en parallèle de la solitude, de veuve ou de séparée, pour la Grand-mère et Monika. 

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Maria Rostocka installe un humour amer au milieu de ces saynètes théâtrales, elle utilise pleinement les codes de la bande dessinée pour mettre en oppositions textes et dessins, jouer sur les ellipses pour souligner ces non-dits, ou sur les niveaux de lecture différents avec un système de bulles colorées qui dévoilent des dialogues décalés. Quiproquos entre les mots de la Grand-mère et les répliques de sa série Tv, malentendus entre Monika et sa mère quand elle ne sait pas si elle parle de son fils ou du chien, dialogue de sourds entre Monika et son ex, à propos de leur enfant dont il ne sait rien…

Et si l’enfance n’était qu’un interminable été ? 

Le roman d’apprentissage, ces fictions qui décrivent ces moments précis du passage à l’adolescence ou à l’âge adulte sont devenus un incontournable de la littérature depuis le XVIIe siècle, une littérature où le héros grandit, et se construit sans avoir besoin d’aventures « exotiques » ou d’un autre monde. Cette bande dessinée de Maria Rostocka s’inscrit dans cette grande tradition de ces rites de passage flou qui nous traversent. Elle plante son histoire au coeur de l’été, un moment où la chaleur et l’ennui nous poussent à réfléchir et à bouger même si l’univers est hostile.

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Dans la langueur des chaudes journées de juillet, de vieilles histoires refont surface. On découvre, à travers les yeux d’un enfant, des adultes qui peinent à se montrer à la hauteur, à leur donner une chance, à les soutenir. Pire, les enfants (adultes ou non) sont pointés du doigt ou punis pour des actes commis par les générations précédentes. Il y a une filiation de la culpabilité, des problèmes familiaux qui transparaissent dans ce quotidien estival. 

On assiste aux conflits mère-fille, à la solitude d’Alek, à celle de Monika. Elle se confie à sa tante qui ne veut pas entendre du mal de sa sœur, qui ne veut pas voir sa méchanceté. Ou bien elle se confie à son amie d’enfance, mais qui a ses propres problèmes derrière l’image d’une famille idéale. L’autrice suggère plus qu’elle ne dit, en témoigne une scène où Monika approchant de la maison entend les parents hurler contre leur enfant et une fois arrivée le mari s’exclame tout sourire « Bienvenue au jardin d’Eden ».

Au milieu de ces adultes, les ados se retrouvent. Une belle scène éclaire l’ambition du livre, quand Alek rencontre une voisine qui se réfugie dans les bois pour lire. À travers sa lecture et son commentaire, la jeune lectrice interroge notre société, ses codes et le statu quo devant un Alek qui se laisse porter. Et si une lecture pouvait changer cela ? Pouvait nous changer ? 

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Mettre en image la mélancolie 

La fin de juillet met en scène le temps qui passe, la solitude (des protagonistes), le rejet (familial) ou le paraître (devant son ex, ses voisins, ses copains). Il y a une esthétique de la vacuité. D’une manière très poétique, l’autrice joue sur les non-dits, les ressentis et cette atmosphère particulière à la nostalgie de l’enfance. À une époque où on court tous après le temps, où on regrette ses longs après-midi d’ennuis ; et la dessinatrice sait parfaitement comment les mettre en scène et titiller notre tendance à la mélancolie. 

La fausse banalité du quotidien est mise en face de la violence cachée des situations. On a dans cet album un concentré de situations tragiques mais réalistes, une vision très contemporaine de nos individualismes. À une époque où l’on est plus tourné vers soi-même plutôt que les autres, vers le paraître plutôt que la sincérité, la perte de confiance et les écrans/fictions plutôt que la réalité. Seule l’amitié désintéressée ou la relation dénuée de sous-entendu avec le chien lie les personnages.

Réalisées à la gouache, ses illustrations ont quelque chose d’unique à chaque case, l’autrice multiplie les points de vue et la distance entre ses personnages et les décors pour installer cette atmosphère lourde et intrigante. Les choix de mise en scène, de cadrages et de couleurs donnent un aspect proche de la fable à cette histoire, et nous poussent à la lire comme un conte contemporain. Un choix loin d’être le fruit du hasard, Maria Rostocka a publié un album L’ours, le chat et le lapin avec Michal Rostocki où elle mettait en image un conte polonais à la fois étrange et mélancolique.

La fin de juillet confronte la prétendue innocence de l’enfance, le poids de la famille, les désillusions et les espoirs dans une ambiance estivale chargée de sous-entendus. Lire, grandir, s’émanciper sont les thèmes qui se cachent dans cette campagne polonaise en juillet, derrière ces peintures qui invitent à la rêverie… Une manière agréable de se chercher en observant les autres.   

Thomas Mourier le 22/04/2021
La fin de juillet de Maria Rostocka, Flblb
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