Zagréboises 3 : Alumni, jeunes photographes
J'ai quitté Zagreb pour la France en 2009. Depuis, ma ville et moi avons changé, tout autant que le regard que je porte sur elle. Dans les textes de cette série, l'autoportrait d'une ville, de mes lieux communs et de nos transitions.
In the era of absolute democracy of photographic media, it is important to keep in mind, what an educated view of the image implies.
L'ère de l'hyper-visibilité numérique a désormais sur-démocratisé l'accès à l'image photographique : est-on tous photographes ?, l'art photographique a-t-il une épistémologie propre ? quel avenir pour ce médium sur la scène artistique contemporaine ? Deux types de démarches, me semble-t-il, permettent de remédier à ces interrogations : édition de livres photographiques (livres sur et livres-objets) et établissement d'événements et d'espaces dédiés. Un tel espace, Galerija f8 a récemment ouvert ses portes à Zagreb, une galerie entièrement consacrée à la production photographique contemporaine, celle des étudiants du Département de photographie de l'Académie des Arts Dramatiques.
Studying photography today is learning of a new language through which creativity in this medium can be seen as an inner element of global interaction and communication.
Une première exposition, sobrement intitulée Alumni, présente, dans ce petit espace à deux niveaux au coeur de la ville, les créations de douze jeunes photographes nouvellement diplômés. Dès l'entrée, un livret de 40 pages mis à disposition gratuitement, édition bilingue croate-anglais, avec des articles situant le Département de photographie au sein de la scène photographique croate, expliquant la genèse de la galerie, présentant les travaux des artistes et leur donnant la voix pour exposer leur démarche artistique.
In the current moment in which the photography market in our country almost does not exist, it is necessary to awaken the ideas of transdisciplinary approach and co-operation that would lead to the creation of a new innovative and authorial ideas.
Des approches et des thèmes diffèrent : de la photographie appliquée (la nourriture en nature morte, presque vanité, pour un magazine culinaire, Marko Miščević) vers la photographie documentaire (qu'est-ce qui reste dans ma mémoire de l'héritage yougoslave ?, Borko Vukosav) en passant par des créations davantage expérimentales, conceptuelles et personnelles. Une unicité se dessine néanmoins parmi les oeuvres exposées, elle est dans l'image du passé qui nous (dé)construit et la quête d'une identité (artistique ?) qui nous habite.
Sur l'objet photographique et l'invisibilité des frontières
Au-delà des photographies accrochées aux murs, trois créations 3D attirent mon attention : on peut les toucher, les sentir, tourner autour, des objets photographiques qui s'affichent dans l'espace, qui transcendent les frontières de leur médium et s'inscrivent dans une transdisciplinarité propre à l'art contemporain.
Ainsi, le cube photographique "Turn!" d'Ana Mihalić : avec les représentations des mains, délicates, fragiles, sur fond bleu clair, on pense à une eau glacée, presque, l'artiste interroge les changements survenus dans sa famille suite à la maladie de sa grand-mère. Ici, dans ces mains, l'histoire des liens qui unissent ceux qui s'aiment, des mains qui deviennent, dit l'artiste, la part essentielle de la relation avec sa grand-mère ainsi que de son identité.
Aussi, "Our House" de Davor Konjikušić. Le point du départ de ce livre photographique, sept ans d'écriture et de prises de vues, journaux intimes illustrés, désormais transformés, taillés, décontextualisés. Des textes qui n'accompagnent pas des images, des images qui n'accompagnent pas des textes : plutôt une polyphonie, deux médiums qui se questionnent, se répondent, s'opposent parfois, et livrent un fil narratif nouveau, un nouveau récit de soi.
Enfin, l'installation "The Sky is empty" de Marina Paulenka et Borko Vukosav : devant la grande représentation du ciel bleu un bouquet fané, fleurs champêtres, insignifiantes, dans un vieux vase en cristal sur le socle en bois. Devant le socle, un livre, pages de taille asymétrique, format panoramique de paysages en automne, une nature qui se meurt, des plans d'eau, de grands arbres, des friches, marqués par une douce absence de l'homme, par une étrangeté anxieuse, presque poétique. Or si le ciel est vide, si les fragments de paysages sont anonymes, l'histoire ne l'est pas : il s'agit ici de frontières balkaniques, celles qui ont connu les guerres et celles qui déterminent une identité nationale-romantique - obsolète désormais ? À traverser ces frontières géographiques, ici réduites à un paisible anonymat, commence le passage des frontières métaphysiques, celles qui compartimentent, qui divisent, qui entravent la liberté...
Alumni, une exposition fraîche, par moments maladroite, notamment dans les choix de l'accrochage mais qui n'est pas à prendre à la légère : ces jeunes photographes ne documentent pas le monde, ils le (re)créent par une permanente interrogation personnelle, et ce faisant ils ouvrent la voie pour une meilleure reconnaissance de l'art photographique sur la scène artistique croate.
It is necessary to re-evaluate the status of photographic media within the fields of contemporary art, so that art photographers have a clear path towards self-sufficient occupations in accordance with their education. But at the same time, we as photographers have to be adaptive in view of dynamics of the contemporary situation : the media is changing, the platforms are changing, the industry is changing, the world in which we all are is constantly changing, so the photographer must constantly learn in order to adapt. It is necessary to realize that we are no longer working as photographers alone, but that we have to find ways to collaborate with other professions and media and to encourage the creation of new support platforms.
*Les phrases citées dans cet article sont extraites du texte "At the very beginning, yet aware" de Marina Paulenka et Davor Konjikušić présenté dans le livret accompagnant l'exposition.
Nina Rendulic le 10/01/18
On suit le travail de Nina Rendulic, sur son blog ici