Le Signe, épisode deux : Shraivogel ou l’abstraction typographique

Seconde étape du périple chaumontais de Martine's avec la découverte de Ralph Shraivogel au SIgne.

Les Martine's

A peine poussée la porte du Signe, on remarque une signalétique minimaliste qui fait mouche et délivre, du même coup, une sensation de grande convivialité. L’endroit donne de suite envie de se poser. Parfaitement éclairé, salon à droite, bar à gauche (même si pas encore complètement en service), une longue table nous fait face; table sur laquelle il est possible de travailler face à face (versus côte à côte).

Nous y surprenons une classe d’élèves de primaire en atelier. Catherine Di Sciullo et son équipe font un remarquable travail de médiation pour que le Signe soit pleinement un lieu pédagogique, vivant et transmetteur d’un savoir, à provoquer partages et expériences, …
Avant d'évoquer, lors d’un entretien à venir (troisième épisode), les différentes caractéristiques et objectifs du lieu, nous descendons voir l'espace dédié en ce moment à Ralph Shraivogel, pour découvrir l’un des espaces les plus impressionnant et intéressant.

Les Martine's

Le Signe abrite donc deux espaces d’exposition : le premier à l’étage, au niveau Terrasse, puis l’autre en bas, qui se trouve être le rez-de-chaussée. Le parcours n'y est pas sans intérêt car on y navigue au fil des possibles déambulations que le lieu propose et « sous-entend ».
Après avoir vu Dutailly, nous laissons derrière nous l’histoire de l’affiche pour découvrir une nouvelle aventure graphique, plus récente et captivante, à travers le travail singulier de Ralph Shraivogel.

Les Martine's

D'un Helvète né en 1960, on pouvait s’attendre à un travail d'une austère rigueur. Mais que nenni pour l'austérité, car, de la rigueur il y en a, avec une quête de la perfection qui jamais ne lasse le regard. Et, loin du lieu commun qui veut que l’image vaille mille mots; chez Shraivogel, ce sont mille mots qui valent bien une image (à afficher). La typographie chez lui, n’est pas un sens construit avec des caractères composés, c'est une image, signifiante, à l’origine du sensible, délivrée dans un équilibre trouvé par une recherche pointue des textures, des effets graphiques, au bord de l’Op’art. Un trouble, un cache, qui révèlent, plutôt que d’obstruer les sens.

Toutes ces subtiles compositions sont obtenues avec une parfaite maîtrise de la photogravure « à l’ancienne ». Il fait partie de ces graphistes qui ont longtemps lutté contre l’utilisation de l’ordinateur et, en particulier du plus célèbre de ses logiciels. Alors qu’il est diplômé de l’école d’art de Zurich dès 1982, il va emprunter tous les chemins de traverse possibles pour éviter le numérique qui déferle alors sur le monde du graphisme. Il va travailler patiemment - par un savant montage film sur table lumineuse - avec les différents éléments d’images, de matière créées à la main. La très bonne idée de l’exposition scénographiée par Jean Schneider est de laisser une belle place à ces tables lumineuses à la verticale afin de montrer l’affiche en voie de composition/production.

C’est seulement au tournant des années 2000 qu’il se décidera à utiliser l’ordinateur. Et le plus intéressant est que cela ne se voit pas. Contraint, par la rareté des matières qui permettaient le montage film, il se résout à utiliser Photoshop. Mais, avec la virtuosité qu’ont ceux qui travaillent à la main, il n’abandonne pas pour autant  l’idée de maquette, de correction, d’aller-retour, de travail, car « l’affiche est un combat » et , si il n’y a pas de bataille avec elle, alors il n’y a pas d’intérêt. C’est ce qui transparaît dans les affiches exposées dans l’espace immense du Signe… Collées sur des panneaux (où l’affichage prend tout son sens), celles-ci se font face à bonne distance, juxtaposées les unes aux autres, offrant la parfaite vision d’un travail aussi riche que précis.

Pour Shraivogel, la typo peut tout. Et d'ailleurs, elle fait feu de tout bois dans une multitude de « signes » et de « matières »; tantôt d’une épure minimale, tantôt d’une charge presque excessive qui soulève notre attention envers la tension entre les caractères et leur signification, plus proche de la sensation qui, peu à peu, glisse vers la compréhension du travail réalisé.

Avec EVIL-LIVE, pour laquelle Shraivogel remporta le Premier Prix International d’Affiches de Chaumont en 2010 (un concours qu’il a remporté en 1997, 2010 et 2017), on se trouve devant une affiche  sobre et profonde. Ce palindrome, est une commande privée pour la commémoration des persécutions envers les juifs dans les années 1930 en Allemagne qui révèle toute la puissance que peut offrir le graphisme typographié avec grand soin, appelant le spectateur/lecteur à l’attention, souhaitant appeler à  l'action contre la barbarie présente, tout en rendant un digne hommage aux victimes, en se souvenant des recherches précédentes de Dada et du Surréalisme. Qu'elles soient charnelles ou carrément abstraites, minimales ou plus denses, il y a toujours, dans ses affiches/propositions, une émotion qui pousse à la contemplation,  

Les liens qu’il tisse avec le cinéma donnent d’ailleurs lieu aux plus belles réussites, de Chris Marker à Isabelle Huppert, autour de la salle de cinéma indépendant de Zurich Filmpodium, les affiches sont d’une véritable beauté graphique, d'un parfait équilibre entre typo et illustration. L'œuvre de Ralph Shraivogel est emblématique du pouvoir de l’affiche. Récompensé par de nombreux prix, son graphisme exigeant est un art. Sa place au Signe légitime et l’amplitude de l’exposition rend honneur à toutes les facettes de son langage. Il montre combien le graphisme n’est pas seulement un « art appliqué » à l’image imprimée, mais un art à part entière, média d’une force et d’une responsabilité capitales, puisque sous le regard de tous.

C’est en offrant de telles conditions à ce type d’exposition que le Signe entend devenir le lieu du graphisme au-delà de l’affiche. Mais là n’est pas sa seule mission. L’ambition est à la hauteur du lieu, et donnera sans doute l’occasion de montrer aussi le contraire : Le lieu est à la hauteur de l’ambition… 

À suivre
Richard Maniere le 8/01/18


Ralph Shraivogel ->4 février 2018
Le Signe, Centre National du Graphisme, Chaumont