Paul Chemetov : verbatim in memoriam
L’architecte Paul Chemetov, né en 1928, est décédé le 16 juin 2024 à Paris. Paul Chemetov était un homme de conviction : rappelant sans cesse que le budget dédié aux banlieues et quartiers en difficulté est infime comparé à celui du programme autoroutier français, il œuvra tout au long de sa carrière pour les premiers et tenta de résister aux seconds avec une méridienne verte de 10 000 arbres, projet qui aujourd’hui en ferait sans doute un écoterroriste.
Des gens beaucoup plus savants que moi sauront écrire sa nécrologie en bonne et due forme. Pour ma part, je garderai le souvenir d’un lecteur assidu, quasiment chaque semaine, de Chroniques d’architecture dont il fut l’un des premiers inscrits à la newsletter dès le 6 juin 2016, à peine six mois après la création du magazine. J’ai encore le souvenir de quelques rencontres, ses amicales dédicaces étant un appel et des encouragements constants à l’engagement, au débat. Au fil de mes lectures, j’avais isolé quelques citations ou extraits de ses ouvrages que j’estimais pertinents et que je me faisais fort de placer un jour dans un de mes articles. Voilà chose faite en somme.
C. L.
[À propos de logement : de 1981 à aujourd’hui, même combat ?]
À défaut d’autres choses, j’intervenais quand je le pensais nécessaire. Ainsi, en 1981, j’ai envoyé une note au Parti communiste pour dire que la construction de cinq cent mille logements était une donnée quantitative mais non une donnée politique. Claude Schnaidt venait de publier un excellent petit pamphlet sous le titre de L’Âge de pierre où il démontait les idées à la mode : participation – pollution – écologie – béton – HLM – collectivisme – qualité architecturale, etc. en montrant qu’elles ne sont que la mise en scène des angoisses des uns au profit des intérêts des autres.
J’indiquais dans ma note : si le problème de leur production n’est pas résolu, cela veut simplement dire que lorsque la crise du logement aura gagné en gravité, les entreprises générales […] construiront ces logements : au profit de qui ? Je ne prêche pas là le retour à la terre je pose une question à laquelle il faut répondre, ou tout au moins réfléchir.
In Paul Chemetov Être architecte Frédéric Lenne (Arléa 2019)
[Architecture et démocratie]
Dans la politique comme dans l’architecture, la communication a pris une importance considérable. Régis Debray disait en citant Paul Valéry que l’image a pris le pas sur l’imaginaire. Le risque est que l’image conditionne tout avec les moyens informatiques, les hologrammes ou les restitutions plus vraies que vrai en architecture. Les jurys regardent les images mais sont peu compétents en termes de construction et de fonctionnement. En fait, un jury, c’est un procès qui aboutit à un jugement.
Actuellement, sauf en de rares exemples, les architectes ne défendent pas leur projet devant le jury. Or dans quel procès, l’accusé est absent ? […] Un jour on reçoit une lettre, on est choisi, on ne sait absolument pas pourquoi. Il y a longtemps, Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, avait déclaré que comme dans tous les pays civilisés, on enverrait les comptes rendus des jugements aux candidats. Cela ne se fait toujours pas. La démocratie voudrait que ce qui se passe soit énoncé. La démocratie n’est pas le pouvoir absolu et les lettres de cachets. Architecture et politique sont ici intimement liées : on engage la vie des personnes et celle des cités pour les siècles.
In Paul Chemetov Être architecte Frédéric Lenne (Arléa 2019)
[De la production de l’architecture…]
Les moyens contemporains, numériques, calculatoires, mettent le projet en relation directe avec la fabrique et transforment les conditions de production de l’architecture. Tout change dans la relation au chantier, s’il fait partie intégrante du projet. Et tant mieux si le ferraillage des poutres doit être robotisé, ce n’était pas la tâche la plus gratifiante et tant mieux s’il disparaît du béton pour être remplacé par des fibres malaxées.
Tant mieux si les exigences environnementales obligent à développer des ciments décarbonés et des aciers de récupération. Tant mieux si la question, apparemment obsolète, de l’industrialisation du bâtiment renaît sous d’autres formes pour offrir des conditions meilleures de production, constructivement, qualitativement et économiquement. Les conditions de production de l’architecture changent, partageons-les… Mais conservons un plaisir partagé : celui de construire.
In Construire Paul Chemetov Marc Mimram (Éditions du Linteau, 2022)
[Du dessin…]
En France, on construit un dessin, en Suisse, on dessine une construction.
In Le beau, le brut et les truands Paul Chemetov Rudy Ricciotti (Textuel, 2021)
[de la théorie et du faire…]
L’affirmation de l’architecture comme discipline partagée permet de mettre la pratique architecturale en débat, de la situer historiquement et d’inscrire le projet toujours singulier, toujours différent, toujours renouvelé dans un ensemble qui le dépasse. C’est parce que le projet trouve son aboutissement dans la réalité physique de sa construction qu’il se fonde dans l’affirmation du lien entre la théorie et le faire ; il ne s’agit pas d’un cheminement progressif de l’une vers l’autre mais d’une fusion qui donne un sens à toute matérialité. Projeter sans penser le construit est une hémiplégie de la raison.
In Construire Paul Chemetov Marc Mimram (Éditions du Linteau, 2022)
[À la question : Pensez-vous à l’hommage qui vous sera un jour rendu ?]
Oh, dans la galerie des espèces disparues, au muséum… ? Dans le meilleur des cas ce sera à l’Académie d’architecture ! Ou dans un de mes bâtiments. J’ai déjà une sente à mon nom à Saint-Juoin-Bruneval où, conseillant la mairie sur la refonte de son schéma d’urbanisme, j’ai proposé de relier simplement les logements à l’école sans passer par les routes en traçant un chemin dans un pré communal. Il a été officiellement baptisé sente Paul Chemetov. Peut-être donnera-t-on mon nom à un bâtiment ou au square Masséna ? Je n’en sais rien.
Le seul ennui, c’est qu’on ne lit pas sa notice nécrologique. Ou alors pour s’assurer de sa postérité, il faut l’écrire soi-même et organiser très tôt les cérémonies qui vont vous commémorer. Je ne suis pas à ce point désoccupé pour me consacrer à un tel exercice.
In Paul Chemetov Être architecte Frédéric Lenne (Arléa, 2019)
Par Christophe Leray le 19/06/2024
Verbatim Chemetov