Inspirée par l'impermanence, Juliette Minchin brûle ses élégantes installations en cire
L'artiste française Juliette Minchin apprécie la cire pour son ambivalence. Activé par la chaleur, ce matériau modeste peut être lisse ou froissé, ferme ou souple, et moulé dans une forme distincte ou regroupé dans une flaque de liquide. Quelle que soit sa forme actuelle, la cire peut rapidement passer d'un état à un autre, et c'est en partie cette impermanence qui l’a incitée à intégrer ce composé collant dans sa pratique il y a environ cinq ans.
Aujourd'hui, l'artiste crée des installations et des sculptures à grande échelle, souvent agrémentées de bougies. "The cross, vigil with thorns", par exemple, dispose 33 panneaux enduits de cire en un énorme T centré sur une austère abbaye cistercienne du XIIIe siècle. Chaque jour, 363 mèches brûlent et font fondre la substance séchée pour révéler lentement un motif botanique en acier.
D'autres œuvres architecturales, comme "Vitrail soufflé", sont statiques pendant de plus longues périodes. L'interprétation du vitrail présente des panneaux diaphanes, semblables à des rideaux, qui se gonflent et tombent autour d'un cadre métallique arqué, inspiré de la construction originale. Semblant prises dans le vent, les feuilles ondulantes sont fabriquées en versant de la cire liquide sur des surfaces planes pour créer une fine couche, que Minchin décolle à chaud. "Je les place sur les structures métalliques et j'ai environ deux minutes pour les sculpter. C'est un dialogue entre ce que le matériau m'offre et la direction que je veux lui donner. Je dois me laisser guider par l'accident et l'instantanéité".
Si les propriétés physiques de la cire sont infiniment séduisantes, Mme Minchin est également intriguée par ses connotations culturelles et spirituelles, en particulier les superstitions et les rites funéraires. Les Romains sculptaient des masques réalistes pour immortaliser les défunts, et l'ancienne méthode d'embaumement, la momification, partage une racine étymologique avec le mot persan signifiant "cire". Les bougies sont également synonymes de lumière et d'espoir pour l'avenir, et le contraste entre la vie et la mort ajoute à l'ambiguïté du matériau.
Mme Minchin considère son travail dans la même veine, "autant une destruction qu'une renaissance" parce qu'elle refond et moule les matériaux d'une pièce pour en faire des projets ultérieurs. "Paradoxalement, le processus de destruction rend l'œuvre très vivante, puisqu'elle évolue sans la main de l'artiste et génère des formes de manière autonome", ajoute-t-elle, comparant la cire à la chair humaine pour ses qualités de protection et de vulnérabilité. Cette métaphore corporelle revient sans cesse dans sa pratique, notamment en ce qui concerne les cycles de la vie et le temps qui passe. Le processus de fonte, explique-t-elle : ...est comme une âme qui quitte un corps pour un autre... Je m'inspire du concept classique du memento mori, lorsque deux états opposés, deux temps contradictoires cohabitent dans le même objet : stabilité et chute, présence et absence, naissance et (disparition). Est-il en train de disparaître ou de naître ? Je veux produire l'image d'une ruine dont certaines parties ont été sauvées et partiellement reconstruites et qui nous donne le sentiment d'un lendemain de fête.
Les œuvres de Mme Minchin seront exposées en juin à Art Basel avec la galerie Anne-Sarah Bénichou et, plus tard dans le mois, lors d'une exposition personnelle au Museo Sant'Orsola de Florence. D'ici là, retrouvez des archives de ses projets sur son site web et sur Instagram.
Jean-Pierre Simard, le 22/05/2024
Juliette Minchin - Impermanence de la cire