Rothko et sa peinture fondamentale font l'école buissonnière chez Vuitton
La première rétrospective française consacrée à Mark Rothko (1903-1970) - depuis celle du musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1999 - présentée à la Fondation Louis Vuitton réunit environ 115 œuvres Elle retrace, dans l’espace total de la fondation, l’ensemble de la carrière de l’artiste : de ses premiers essais figuratifs jusqu’à l’abstraction qui définit son œuvre. Rothko, let’s go !
« Je suis devenu peintre parce que je voulais élever la peinture au même degré d’intensité que la musique et la poésie. ». Ce sont les mots de Rothko, dont les réalisations évoquent la condition humaine, cette intensité au plus profond de chacun, faisant de l’ensemble de ses travaux une œuvre intemporelle et plus que jamais d’actualité. S’articulant autour de son propre langage, ses créations évoquent une luminescence qui vient de l’intérieur et non de la lumière du monde. L’art abstrait au service des émotions humaines fondamentales, telle est la vision de Rothko.
L’exposition débute par des scènes intimistes et des paysages urbains datant des années 1930, avant de présenter sa vision de la condition humaine pendant la Seconde Guerre mondiale, marquée par le surréalisme et les mythes antiques. La rétrospective prend ensuite un tournant et met en lumière ses œuvres post guerre, composées du multiforme jusqu’aux plus célèbres où se superposent des formes rectangulaires suivant un rythme binaire ou ternaire, caractérisées par des tons jaunes, rouges, ocre, orange, mais aussi bleus, blancs.
Y sont ainsi présentées l’évolution et les tensions de la démarche créative de Rothko, aussi bien dans le choix de ses couleurs que dans la construction du tableau faisant de lui un artiste unique. La permanence du questionnement de ce dernier, sa volonté d’un dialogue sans mots avec le spectateur, son refus d’être vu comme un « coloriste », autorisent à travers cette exposition une lecture renouvelée de son œuvre dans sa vraie pluralité.
Des formats XXL, des couleurs qui flashent. Depuis 70 ans, les tableaux de Mark Rothko fascinent. Mais pourquoi ont-ils un tel pouvoir hypnotique sur notre regard ? Pour la première fois depuis 25 ans, un musée français permet de redécouvrir la peinture de Rothko. Son fils, Christopher, explique pourquoi il faut absolument être là, physiquement, face à ces tableaux. "C’est très important de voir un des tableaux de mon père en vrai, et non pas sur un écran. Mon père voulait un échange entre le tableau et celui qui le regarde. Un échange émotionnel, au-delà du langage", explique-t-il.
Une connexion particulière avec les cellules du cerveau, des formats immenses qui placent en immersion à 360°, mais surtout des tableaux qui semblent comme éclairés de l’intérieur, un peu comme s’ils étaient vivants. En vérité, personne n’a jamais vu peindre Rothko. Mais sa technique est inspirée des grands peintres de la Renaissance, comme Léonard de Vinci, qui appliquait plusieurs couches transparentes pour créer une peinture vibrante. En se débarrassant du motif, Rothko a poussé la couleur et ses vibrations au rang de nouveau regard. Mais, en se posant devant une de ses toiles, on finit par envisager dans les couches de peinture, une autre histoire, on redécouvre forcément Turner et d’autres qu’on ne soupçonnait pas faire partie de cet univers. Pezut-être même des peintres à venir. C’est très très fort.
Quand des séries sont constituées, elles occupent les galeries les plus longues et sont composées soit selon une dominante chromatique – le rapport rouge, rose et blanc, par exemple –, soit parce que les zones colorées y sont placées de façon similaire – trois bandes de largeurs proches ou la superposition de deux ou trois quadrangles.
Il y eut donc un Rothko avant Rothko, avant les grandes peintures qui firent sa renommée, ces superpositions horizontales de rectangles colorés aux bords flous sur des fonds monochromes. Il y eut même plusieurs : le Rothko figuratif des années 30, le surréaliste et mythologique des années 40, et le Rothko à la fois abstrait et surréaliste du milieu des années 40. Ce n’est qu’en 1949 que le vrai peintre américain, alors âgé des 46 ans, trouvera enfin sa forme abstraite qui ne variera que très peu jusqu’à sa mort, le 25 février 1970. Et il nous laisse ainsi devant son œuvre qui se déploie ici , comme jamais, en respectant à la fois ses demandes pour l’éclairage du lieu, son choc esthétique et sa virtuosité qui font foi. Un conseil : foncez-y !
Jean-Pierre Simard, le 23/10/2023
Rétrospective Mark Rothko -> 2/04/2023
Fondation Louis Vuitton - 8 av. du Mahatma Gandhi 75016 Paris