Marie Mons, vers une re-naissance

Retour sur une expérience en actes. J’ai rencontré Marie Mons très récemment et regardé son travail du point de vue de ce que génère un acte majeur dans la création d’un jeu avec soi-même, ce qui raisonne avec la problématique de la rencontre du sujet inavoué… et d’une certaine recherche d’un temps perdu et retrouvé.

« Chaque lecteur, là, où il se trouve, est le propre lecteur de soi-même »  Bergson

Les pratiques initiatrices sont courantes chez moult photographes qui interrogent un certain nombre de liens entre leur problématique profonde et des thématiques en rapport avec la société ou plus personnelles, intimes, familiales… il y a souvent passages, création de sens, dé-couvertes, résolutions positives, élucidations, dissipations de points aveugles et retors, auto-analyse, en quelque sorte, souvent, une investigation porteuse de lumière et photographies, retraçant, dans un dispositif ce qui s’est inscrit de cette recherche, soit littéralement, soit analogiquement, voire métaphoriquement ou symboliquement. Partir à la recherche de…, devient un acte de construction de soi, qui ouvre des chemins différentiels, différentiés, afin de trouver souvent une nouvelle résolution de l’être, de pouvoir se percevoir autre et différent, dans bien des cas, il s’agit d’une re-naissance. C’est ici le cas pour Marie Mons.

© Marie Mons, page du livre I am Aurore Colbert said Marie Mons.

Marie Mons, extrait de la vidéo-performance.

Marie Mons devient Aurore Colbert…

Aurore Colbert est cette jeune femme qui sort de la mer glacée, en pleine hiver, nue, comme une déesse ou une nymphe. On pense étrangement à la Naissance de Vénus, botticellienne, ici frontale et solitaire, rebelle néo-punk, initiatrice d’expériences nouvelles, initiatrice de soi même, en quête d’un acte fondateur de l’unité de soi, dans un espace pur, marin, primitif, à l’aurore, ce temps où le jour se défait de la nuit, passage entre les mondes.

« La Vénus sortie des eaux ou  Vénus anadyomène » (du grec ancien ἀναδυομένη, signifie « surgie vers le haut », c’est-à-dire « sortie des eaux » ou « surgie des eaux ») est un thème artistique courant de la peinture occidentale, issu de la mythologie gréco-romaine, il fait ici retour, surgie vers le haut, apparition, intuitions, fiction. La référence au mythe gréco-latin n’est pas neutre, même si le lieu choisi par Marie Mons est au Nord de l’Europe, qui est topographiquement parlant au dessus de l’Europe.

Surgir vers le haut implique de se situer dans un autre système de référence mythographique, en lien avec la psyché, ici, la création artistique. En effet, dans la théogonie d’Hésiode, la naissance d’Aprhodite/Vénus, qui aurait émergé de l’écume de la mer à Chypre, a lieu après que le sang et le sperme, ces deux substances inséminantes, émanant de la castration d’Ouranos (le ciel) se soient mêlées à la mer. L’acte cosmogonique des amours de la Terre et du Ciel, Ouranos féconde Gaia, donne la vie en inséminant les eaux primordiales  par le Haut, source de toute vie. La naissance de Vénus en est une représentation symbolique et nous touche culturellement, parce que cette représentation insémine une part de cette présentation au Monde de ce qu’est le monde des origines. La beauté est Amour en Vénus.

La performance de Marie Mons, Aurore Colbert est un acte de création qui reprend analogiquement le mythe, s’il est centré ou auto-centré; une correspondance s’établit, entre deux récits. C’est dire que Marie Mons est lié à cette psyché occidentale dans la référence que sa performance recréé de la naissance de son double, à partir de la mer. Une même essence coalise les deux naissances vers le haut, ici, utilisée comme émergence physique, dans un récit visuel, la vidéo de la performance, qui donne corps à l’expérience magico-religieuse d’un rite de passage.

Très curieusement, sur un autre plan interprétatif, analytique, cette intimité que livre Marie Mons d’Aurore Colbert est un dédoublement où l’auto-fiction permet une distance, afin de s’affranchir des quotidiens normatifs dans une transgression qui lui permet d’aller à la rencontre de soi même, libre d’elle même, dans une démarche artistique, en inventant une seconde personnalité, un personnage fictif, assez proche d’elle même; c’est l’expérience d’une dualité envisagée par arrachement, dédoublement. autonomie, en vue de… faire œuvre, don, partage, exemple, créations, tant sur le plan de l’intimité  psychologique, que par l’image et l’écriture, le livre, la performance, c’est encore prendre part à ce théâtre ritualisé du vivant en soi, s’inventer, faire entrer le Jeu du dédoublement pour renaitre à soi même, ici, à travers la connexion à une communauté  norvégienne s’étant réappropriée toutes les légendes nordiques dont rituels et épreuves afin de revivre l’esprit ancien.

©Marie Mons, extrait du livre » I am Aurore Colbert said Marie Mons ».

En  travaillant ce matériau brut de sa propre vie, de son propre temps par l’image, le film, en le distanciant dans un jeu ritualisé, un théâtre essentiel se met en place aux jeux du double. Marie Mons rétablit en Aurore Colbert la prédominance d’un présent neuf, débarrassé des marqueurs sociaux qui limitent et emprisonnent. Il y a là dans cet acte de re-naissance, la conclusion singulière d’ une quête identitaire en développements qui joue avec la persona évoquée, chère à Jung, précédemment à travers les masques, afin de faire sourdre, au delà des rôles sociaux pré-déterminés, une conscience plus libre de soi…. Il est question d’accéder à une vie plus essentielle: retrouver les sensations de ce qui lie l’être aux fondements de sa Liberté retrouvée, dans de nouveaux rapports symboliques, mystiques, aux Mondes, à la sensation, à la justesse de soi dans une autre dimension de la relation à soi et au monde. Un retour aux origines dans une autre temporalité se fait, fantasmatique et magique, par la croyance en la puissance fondamentale du mythe. un acte symbolique a lieu.

Marie Mons renoue avec l’Unité nordique païenne, d’avant la christianisation, un monde de forces sauvages, bien connues des Vikings, et fait désormais partie de ce monde, jusque dans ses pérégrinations nocturnes et autres rituels magiques.

L’unité atteinte est en principe, celle, holistique du tout et de ses parties, l’un se réfracte dans la totalité et se dialectise dans la croyance que la totalité est en germe dans ses parties, que son programme quantique s’inscrit dans l’être renouvelé par son appartenance à un sacré, pur, idéal, luttant contre toute profanation.

©Marie Mons, extrait du livre » I am Aurore Colbert said Marie Mons ».

Toute une physique des sens permet de re-situer l’être primordial, sauvage, relié aux éléments, au Monde,  (d’avant les conditionnements) comme une île où il faut aborder, afin de renaître; territoires de l’intimité, du don, de la création, d’un sacré en travail, alors que se dé-fragmente la « persona» et que parait l’être nouveau dans de nouveaux liens et accords à un monde caché, enfoui. L’unité nouvelle fait principe et sens. Elle induit une expérience nouvelle dans un langage plastique qui survient à mesure qu’il s’élabore et qu’il se constitue, qu’il se diffuse aux cercles de cette société ancienne, au prix d’un dialogue fait de questions, de secrets, de récits romanesques, de merveilleux, pour produire également chez sa locutrice, un attachement romantique aux valeurs sauvages. Ce parcours constitue la trame des performances de Marie Mons.

C’est, de fait, la preuve d’une grande exigence de soi, dans une histoire qui revendique  le Secret et l’Émerveillement, l’ouverture à l’Infini, au recouvrement de soi même, en tant que part élective, à ce qui enchante encore, une danse contemporaine invisible, intérieure, les parts sémillantes d’un éveil à une poétique de l’inscription du corps dans un espace conceptuellement autre, invisible, délinéé par d’autres instances,  vierge, dans un temps séparé sans temporalité. L’expérience mystique est devenue une matrice, produisant dans les happenings une forme de résilience heureuse, de retour à ce qui a été perdu, corrompu, oublié… puis retrouvé.

Le minimalisme donne une certaine intensité à l’image qui se concentre sur elle même, pour dire que le rêve est une marche en soi et que les mises en scène en sont l’expression vivante au secret (dans cette formule se dit aussi un abîme, un point obscur s’y réfracte), dans une genèse qui échappe au jugement, par une poétique qui (con) sacre l’évènement, ce qui advient alors (Duras) du happening et de la création de cette aventure intérieure.

Il se passe une chose un peu magique, en ce regard, qui permet de « passer le pont » et de suivre aux sources de ce qui fait évènement, (la sortie du terrestre) le conte, qui se dit, alors que tout se tient dans un silence de création (Islande) et que tout s’affirme sans tension…comme accompli, comme s’il s’agissait de la formule biblique où les temps s’accomplissent….

©Marie Mons, extrait du livre « I am Aurore Colbert said Marie Mons ».

De quoi fêter les mots qui naitront, dans un souffle de glace, de ces lèvres entrouvertes et qui murmurent silencieusement le temps différencié et joyeux de ce qui fut oublié et qui renait par l’anamnèse. Ce souvenir qui se fit ailleurs parole proverbiale…autrefois (longtemps, je me suis couché de bonne heure…) . Marie Mons, Aurore Colbert sont alors, pour tout témoin, lecteur attentif, l’invisible preuve que tout est vivant en ce passage d’où vient cette voie de l’Invisible Présence et que, les objets du voir dans leur matérialité ne sont que des paysages mentaux créés, soutenus par un théâtre de situations.

A travers l’épreuve, s’ouvre un chemin complexe et simple, celui de l’énigme, qui, tantôt, dans certains états modifiés de conscience parait si simple, si évident, tantôt, livrée à la Raison, semble se dissoudre de soi même dans une brume hivernale pour revenir, plus tard en fantôme éclairé ou obscur, en questeur, au retour des souffles ultra marins, par la main qui pense le sujet inavoué en cette marche invisible à l’apparition d’un lien direct au Soi.

Qu’agrège le souvenir dans sa mémoire passée, que dit-il aujourd’hui de son présent, quel est ce temps, abîmes et ciel, neiges et soleils, douleurs et fièvres, langueurs et plaisirs, qu’agrège donc cette pratique libératoire de l’imparité du sens, à la nécessité de Faire ?

L’épreuve mystique est toute intérieure, elle s’additionne ici aux preuves tangibles de son heureuse insémination dans les traces d’unité d’un regard qui se fait le portrait apaisé d’un monde où plus rien ne s’oppose et où tout participe de la paix heureuse et païenne de l’unité dévouée à l’être, dans toute son imparité. C’est ici, dans ce travail que Marie Mons fait état de la beauté accomplie et de Vénus, née par le haut, dans le « tendre bonheur d’une paix sans victoire ».

Que  signe ici ce qui fait présences, expériences, citations, afin que soit le monde en soi, dans une différenciation singulière et spirituelle, quand les portes de la perception sont au minuit, ouvertes aux midis et que tout flue entre les heures où tout parait éclairé par un récit intérieur; mythe appréciatif, appropriatif, issu de la nuit, vents stellaires, ouvert au jour; les ombres qui se déploient, par les soleils qui éclairent ne sont-elles pas issues de ce feu primordial d’hier et de toujours, dont Guy Debord fit sa devise, palindrome connu. « In girum imus nocte et consumimur igni »

Les baisers des fjords, quand la bouche reçoit du souffle prométhéen l’eau magique, est alcools, verbe, mots, silences voire adresses. Et sur ces points d’intensité, comme sur une boussole, se relèvent ces fantômes, ces rêves, ces manifestations d’un Invisible esprit dont le temps est cette maille intime, fibre végétale du vent et de la terre, esprit de feu, mémoire d’eau, quand tout revient de ce Chaos et que s’organise, par Éros, ce qui va au Léthé et se noie dans l’oubli, ce qui vient du vivant et qui marque le temps ; pour croitre dans le cycle puis se dissoudre, dès lors qu’il a produit un autre soleil, une autre idée dans une autre sensibilité, une autre réalité virginale et pure, comme ici une mutation du feu et de la calcination appelant une conjugaison des contraires, hors des apparences, dans ce qui fait la complicité des forces au travail de la forge et les purifications qui proviennent, ritueliques, des Cinq éléments.

Soleils mystiques, Invictus Niger Sole, par dedans le ciel nocturne, ou l’Esprit est au Nord,  Marie Mons chante en secret le cours éteint de sa marche éveillée vers l’Esprit de toute chose, pour en donner lecture dans ses productions, dans une dimension où tout a pris sa place et tout est vivant, magiquement. Marie Mons est enfin un être humain au centre du monde, une Cheyenne selon Arthur Penn.

Pascal Therme
Marie Mons, vers une renaissance

http://mariemons.fr/