25 BD BEAUMARCHAIS de Carole Bellaïche par Pascal Therme
25 Boulevard Beaumarchais est une encre sympathique
25 Boulevard Beaumarchais est un cheval de Troie
25 Boulevard Beaumarchais est une plume faite d’anges
25 Boulevard Beaumarchais est un refuge contre la nuit
25 Boulevard Beaumarchais est une anche de saxophone
25 Boulevard Beaumarchais est pied de nez à la bêtise
25 Boulevard Beaumarchais est une 404 rouge
25 Boulevard Beaumarchais est un feu qui brûle toujours,
25 Boulevard Beaumarchais est un trait de lumière qui traverse le ciel.
25 Boulevard Beaumarchais est un cristal noir et blanc, un objet de médiumnité, un contre ciel, l’écume de ces années là, un hymne à la vraie vie parisienne. Et quand paraît la couverture, Pascale M, 1978, visage et main sur le velours du fauteuil, regard des enfants terribles, une muse est présente, remarquable invisible.
Je me suis promené en solitaire dans ce beau livre de portraits, dans le temps, au passé-présent, au futur antérieur, au cœur de la lumière fléchissant les parquets, inondant fauteuils, canapés, couloirs, chambres, salons, je me suis penché aux fenêtres, tout en silence intérieur et en découvertes. Je me suis endormi, là, entre les pages de ce livre inquiet et sérieux, songeur, rêvant le rêve formé par le temps, entre les mots et les images, tenu aussi à l’éveil, devant les photographies de Carole Bellaïche, au 25 rue Beaumarchais au lieu de cet appartement si parisien, honoré de ce rêve là.
Est-ce l’appartement qui rêve en Carole ou Carole qui se rêve, dans une autre dimension, comme un film, au jour de ses nuits, dans le double formé par tout ce qui déborde de chaque photographie, cette vie si large, tel un fleuve, et dont le temps, par son flux, anime une poétique de la présence, agrège les plans sensibles des impressions et l’être là de ses amies, puis des actrices, acteurs, venus, déposer le sel de la légende, la matière légère de ce qui s’échange par les yeux clos, ces heures maltées, où l’âme exprime ses arabesques, au creuset des destins…
Toute une génération d’actrices, d’acteurs, se rencontre en cet appartement, au cinquième étage, survolant Paris, en ses toits, louanges de lumière, printemps comme hivers, quand on entend, l’été, l’heure sonner aux cloches de Saint Paul, qu’au loin l’heure s’affiche à la grande horloge de la gare de Lyon, que Paris est cet écrin précieux de la vie ailée des arts, que se dessinent les projets, s’échangent les promesses, fusent les rires.
Tout est là, tout vit, ravi, l’aisance de ces actrices, de leurs corps libres, jeunesse éphémère, inquiète mais sûre, aux visages neufs, alors que désormais célèbres, dans l’éternel de sa propre jeunesse. Une souvenance active et douée se joue par cette photographie nouée à ce souffle de l’impatience, sans drame, côte à côte, dans une joie complice.
Carole raconte ses premières images, dès 14 ans, avec ses copines de classe, ce jeu du miroir, passer le miroir, fièvre du laboratoire et des apparitions, images natives, négatifs entassés dans un placard, oubliés, vivants, à nouveau dans cette ré-apparition, rayés, usés, altérés, donnant avec le temps, un relief à ces premières poses, à ces premiers personnages, à ces premiers corps.
Tout se lit à l’an vert, envers des temps, couture des yeux, approche différentielle… par la permanence de ce que nous devons au mystère brûlant de ce qui éclot, de ce qui vit, lumières fragiles et fortes, incandescences du vivant.
Page 23, un beau visage semble se refléter dans le tain d’un miroir, un double regard s’en échappe, dirait-on, non, ce sont les jumelles Nathalie et Valérie, visages contre visages, regardant droit dans l’objectif. Il semblait, à première vue que ce jeu des semblances, des re/ssemblances soit dû au tain d’argent, mais à mieux regarder, apparaît un double visage, dans une identité dédoublée, sans que le miroir, ici, ne soit un artifice, cet objet magique, où se reflètent corps, regards, poses, mensonges et vérités.
1978, Elisa est alanguie sur un sofa, robe noire sur fond noir, maquillage à la Louise Brooks, références aux films muets, à ces corps lointains des années 20… Une folle période où le film crépite, griffé, incluant dans son flou létal, par ses noirs bouchés, exaltant une lumière plus crue, venue des épaules, du visage. On pense à l’expressionnisme allemand de Fritz Lang, à ce qu’il en advient ensuite, surréalisant chez Man Ray, quelques années plus tard.
Tout est vertiges, de l’inconscience de la jeune photographe à son expressionnisme naissant, à l’incertitude du tremblement intérieur qui s’affirme poétiquement, à la rencontre de l’orphisme de Cocteau, aussi. Une plongée vertigineuse dans le miroir est voyage de la surface, des renversements, de ce qui file, autonome, de ces « rockets », comme on les appelait alors, qui traversent un ciel inversé, assagi, fait de noirs et de blancs, à la fugue, dira t-on princière, c’est à dire première. L’exigence de soi est un principe actif, que récompense le monde en retour, quand elle est règle de vie, ascétisme, rigueur et recueillements. Sans doute, chez Carole Bellaïche, l’envie de voir et de collectionner, la nervure de l’anthropologue, le relais du théâtre et du cinéma, l’envie de faire entrer par la porte cachée les visages et les corps échappés, un instant, de l’énergie du boulevard, dans une invitation à partager ce temps différencié de la photographie, temple et refuge contre le néant…
J’aime cette liberté créatrice, inconsciente, parce que libre d’elle même, sans tabou, mise en jeu, en je, portrait lacanien qui s’invente, d’où l’extrême liberté de ton, d’invention, de séduction, qui prend effet, bien au delà de la question technique : savoir si cela est juste et inquiet, dans une sorte de transe mutique, partagée avec ses modèles, dans la portée du film à faire, dédoublements en série, actings, mises en scène du semblant, petit théâtre rieur et sérieux, écriture automatique, tout cela participe du travail et de cette improvisation ouverte aux fréquences, à l’énergie, au rêve. Une dimension nouvelle ouvre un univers parallèle où se joue le miracle de l’image, le jeu de la présence, l’histoire de la vie.
Carole s’est faite portraitiste, poète de l’instant où quelques choses s’accomplissent et viennent à s’inscrire sur le film, quelques choses éphémères, passagères du vent, hôtes de l’instant, qui, au bord des yeux, précipitent, matières vivantes des regards et des ombres, des corps si pleins (si plaints) au regard de l’histoire; le roman, la plaisanterie, les rires, viennent, en témoins, par la fenêtre, ou de l’ombre close de la pièce d’à côté, de cet ailleurs qui est l’air que l’on respire, le temps qui danse, la cigarette qu’on allume et la musique qui vient…
Ce qui semble miraculeux, ce ne sont pas les photographies exactement, mais ce qu’elles portent, bateau ivre, eau impatiente aux lenteurs aériennes, temps clair et sombre, eau du rêve; tout de l’instant s’accomplit en tant que substance vive et vivante; une mémoire se recompose et se compose en l’instant ou tout va s’évanouir, tout va disparaître pour apparaître encore et encore au delà, vaste tissu de rêves aux souvenirs d’un « retour en avant » plus tard, sur les lèvres, dans les yeux et sur le film, de ces amies d’un soir, d’un jour, du présent. Le temps n’existe plus, la forme a pris l’essence de l’être aux rets de son déploiement, en pleine floraison, confiante, en cela, des temps à venir. Il y a toute une métaphysique, très présente, dans ces pages, où la photographie est à son œuvre, non pas tant noématique, mais au souffle du présent, au temple de ce qui est, ici et maintenant, grâce aux pollens des intentions, des mots, des murmures, de ce qui palpite à la lèvre, et de ce qui, du secret, s’échappe et insémine.
Viennent puis s’en vont, trois petits tours, les jeunes comédiennes, comédiens, avec toute l’aventure qu’on suppose, – Carole est sollicitée par les agences de comédiens pour tirer leur portrait – fleurs, promesse d’ étoiles, complicités fulgurantes, entre l’eau des rêves et le feu surnaturel d’un Parnasse, se joue l’œuvre du temps.
La référence à Cocteau paraît formellement, comme dans un Drama ancien, une pièce de théâtre; le visage est un poème lactescent, il irradie son naturel dans son surnaturel, Il exhale par la poétique de sa présence, toute ses présences, tout son ailleurs, le sentiment du jeu, de ces dédoublements, de ces personnages à venir. Il inscrit aux confins du visage, dans une sorte de transe, d’éblouissement calme, comme dans une statuaire de chair et de sang, une sorte de totalité, physique et métaphysique; le visage irradie, complice de ses futurs, dans la présence; présences éphémères et magiques, tant la photographie s’apparente désormais, à cette plongée en soi, au delà du miroir, dans « cette eau du puits glacé, bois là, » écrit Verlaine, afin que s’opère le prodige, l’apparition, le fantôme, cet être immatériel, à la présence lumineuse et qui fait sa couche, tout en avant tout en dedans de cette photographie, qui songe plus qu’elle ne cherche à prendre et qui s’ouvrant aux infinis, recueille le secret de toute présence, dans le plus inconvenant des sens.
Jeu de doubles, jeu de princes … en ce 25 bd Beaumarchais, sur le comptoir du temps.
Le livre se termine par une image forte et douce, à la vente de l’appartement, le père de Carole de dos, dans le couloir, se dirige vers la sortie; un départ pour dire tous les départs et ce mouvement de la vie, apparue, retenue à bras le corps, par Carole.
Pascal Therme
Carole Bellaïche - 25 boulevard Beaumarchais - édition Revelatoer (2021, 194 pages)
Textes de : Carole Bellaïche, Jacques Bonnaffé, Dominique Issermann, Jean-Marc Grangier, Pascale Richard, Nicolas Saada, Juliette Binoche, Aurore Clément, CharlElie Couture, Laurence Côte, Florence Bellaïche, Julie Delpy ; photogravure Pascal Jollivet ; éditrice Charlotte Vannier.