Un simple coup d'œil, décryptage d'un cliché par Pascal Therme
Où sommes-nous dans cette photographie d'hiver, assez symbolique ? Un homme debout de dos, au centre horizontal, au premier tiers vertical, le deuxième tiers supérieur est l'horizon et le troisième, le ciel, dans un rapport central où le plan de l'image le rend dans ce qu'il semble regardé, toute une terre, sa terre, s'étend jusqu'aux collines.
Il semble que les lignes des toits convergent vers ce point où il se tient dans un système de triangulation qui le "centre" au tiers inférieur du plan. Un système de lignes le place ainsi comme un homme au centre de sa terre hivernale, au point vertical de ses appartenances, aux territoires qui fondent son action.
De fait, je m'aperçois qu'il n'est pas de dos mais de face, il n'empêche, l'image s'enrichit de l'ambivalence de cette posture, selon que l'on pense qu'il se tient face ou dos au photographe, quelque chose clive dans le sens que l'on peut donner à l'image en changeant sa position, de face et de dos, jeu assez troublant de l'interprétation qui renvoie sans doute aux sens qui se proposent. De face il s'agirait d'une sorte de constat, de dos, l'image devient symbolique et contemplative, le regard du personnage tourné vers le lointain réintroduit un axe intérieur qui donne une profondeur insoupçonnée, mon regard est ainsi "appelé" à suivre celui, invisible, du personnage, vers cette "profondeur" communicante, intérieure et extérieure.
Comme beaucoup de photographes, Alain Keler inclut dans l'image la possibilité de l'Autre, dans l'image par la narrativité que porte les scènes photographiées, hors de l'image par un point de fuite qui inclut le regard extérieur, comme si nous nous trouvions derrière lui; le "regardant", nous, comme un double, agissant et recevant cette butée du regard qui traverse le photographe et fait photographie...dans un total respect de tous les acteurs, inclus les personnages, le sujet, le photographe et le récepteur de l'image, nous;
Un autre axe qui donne une autre spatialisation en volume de cette photographie puisqu'elle intègre aussi le mystère des temps qui l'ont composées et dont la finalité est cette dernière et première destination, dont nous sommes au final la première intention, la première cause et qui se lie à l'l'éthique de celui qui témoigne et qui rapporte, aussi bien en lui même que pour les temps à venir, à partir du moment où la photographie se prend....
C'est aussi pourquoi dans ces transmissions, Alain Keler est ce conteur passionnant et surtout juste et que son aventure s'apparente à une Odyssée, liant la dialectique de ce qui porte l'universel, parce qu'illustré si effectivement dans le sens de "tourné vers le un" "uni-versus", dans une honnêteté intellectuelle forgée à la volonté inconsciente de Savoir ce qui fait photographie, devenue totalement ORGANIQUE, quand il est sur le terrain, dans cette "mission", intimement et pour lui-même, conséquemment, quand il construit ce genre de plan photographique, il est au coeur de cette Raison du Sensible qui fait sens et œuvre, pour tous comme pour lui-même, l'homme du quotidien à l'ouvrage disait Dubuffet.
Pascal Therme le 15/01/2020