Barbara Probst et ses images : partir/revenir et poser un moment dans l'espace
Coup de cœur pour la nouvelle expo de Barbara Probst au BAL. Cette Allemande qui navigue entre Munich et New-York réussit à faire déraper le sens de l’image photographique ; tout en filant, mine de rien, à la fois les clés du camion de la lecture et un dispositif qui ouvre sur une polysémie bienvenue.
J’envisage parfois mes images comme une façade dont la structure qui les supporte se serait évaporée. La réalité s’est évaporée, seules restent les images, telle une façade se tenant devant du vide. — Barbara Probst
Barbara Probst bondit le 7 janvier 2000 sur le toit-terrasse d’un building de la 8e avenue à la nuit tombée, sous l’objectif de douze appareils photos savamment disposés et synchronisés pour se déclencher d’un seul coup. Il est exactement 22h37, heure de New York, l’instant est vraiment décisif, même si le saut n’a pas besoin d’être spectaculaire pour être radical. C’est l’Exposure #1.
On aurait tort de penser qu’avec cette œuvre tout le dispositif artistique de Barbara Probst est en place et qu’elle le fera évoluer seulement à la marge. Certes toutes ses œuvres sauf une ont en commun de procéder d’images multiples shootées simultanément, et en vingt ans elle en aura produit plus de 150, mais les situations sont régulièrement renouvelées et stimulent chez l’artiste des expérimentations différentes engageant un rapport à l’image lui aussi très différent. Frédéric Paul (extrait du catalogue de l’exposition)
En deça de cette geste inaugurale, il y a les précédentes études de sculpture de la photographe allemande qui donnent la clé de sa démarche. Comment aborder, voir, construire et ensuite regarder une image/sculpture en lui rendant, via le medium photo, une vision à plusieurs dimensions qui prenne en compte à la fois le temps du regard et celui d’une certaine diffraction de l’image proposée comme autant de lectures possibles.
Le propos est aussi culotté que la réalisation heureuse, à toujours vouloir dépasser les deux dimensions de l’image fixe pour en faiire à la fois le mensonge et la pluralité - Allô Godard “ Pas une image juste, juste une image… “ Ainsi de l’image ci dessus qui extraite d’une des dernières séries de Probst qui joue du cinéma et du surréalisme de Magritte à la fois, avec ses quatre ou cinq éléments selon l’angle de vue : une table ( de cadrage), une thermos , un citron, un poignet humain et un décor minimaliste sur deux plans (mur de fond et sol gris). Alors, peuvent se jouer toutes les propositions de lecture offertes par la photographe, cette fausse simultanéité à plusieurs points de vue, en élargissement de point de vue. Un truc qui dit - malgré mon installation qui fait sens, je vous laisse libre de votre propre regard à recréer ce que je vous montre - un peu façon cubiste, comme prolongement de la peinture à deux dimensions qui ouvre sur l’ailleurs de la Guitare de Juan Gris ou des Demoiselles d’Avignon de Picasso, un bon siècle plus tard et la technologie en plus.
Mais le terrain est encore plus balisé que cela, dans le travail de Barbara Probst qui se pose la question du regard après celle de l’exposition; je montre quelque chose et j’en offre une vision plurielle - mais je dois me poser la question de ce que peut voir le spectateur/regardeur, quitte à rajouter des plans dans l’image… ente-t-on là dans une image à deux dimensions qui en proposerait au moins quatre ?
Pour cela, il est fait appel, dans le dispositif, au cinéma d’Antonioni (et certains ajoutent Hitchcock…) qui, avec Blow Up, pose la position du spectateur dans la construction du propos. Comme dans l’image ci dessus qui installe un personnage dans un décor multiple qui convoque aussi le personnage lui-même ( en l’occurrence elle en rouge) et un rapport à Antonioni, comme à James Bond, voir en fin de parcours au personnage recadré, scotché au mur, après un passage à vide - au cadre proprement vide de toute représentation.
Si certains trouvent le procédé arbitraire, au-delà du strict champs de la photo, j’y vois une belle avancée conceptuelle qui me parle dans son foisonnement et sa polysémie. Mais après tout, tout est question de temps ici . Un conseil, prenez-le !
« Un appareil photo est semblable à un témoin oculaire et une photographie à son compte-rendu. Les récits du même événement par différents témoins peuvent être étonnamment discordants. Comment définir, en vérité, la “réalité d’un événement” ? Philosophiquement, la réponse semble être une construction à élaborer . Pour moi, la photographie est le meilleur outil pour appréhender cette question, précisément en raison de son lien avec cette réalité.” - Barbara Probst
Et, puisque le BAL vous fait rebondir sur des projets d’une proximité certaine, le 28/05/19, au Cinéma des cinéastes ( quasi en face du BAL) vous pourrez aller voir la sélection d’œuvres proposées, intitulée Dramaturgies énigmatiques :qui se présente ainsi :
Champ-contrechamp, démultiplication des points de vue, déclinaison et itération d’une action, autant de protocoles mis en place par les cinéastes de ce cycle pour représenter un même moment, une unité de lieu de manière démultipliée. Le temps devient matière, sensation, énergie cinétique et met au défi le spectateur dans sa tentative à décrypter le réel.
Du détournement des codes de la publicité par la répétition à l'infini des gestes dans Dichtung und Wahrheit (Poésie et vérité) de Peter Kubelka à l'approche structurelle du déroulement temporel chez Chris Gallagher, en passant par l'exploration d'un espace donné au sein d'une matrice répétitive chez Arthur et Corinne Cantrill, chaque film livre son lot d'énigmes temporelles pour rendre compte de la discontinuité du réel. Joyce Wieland et Hollis Frampton jouent quant à eux de leur présence réflexive dans une sorte de référence contemporaine à L'homme à la caméra de Dziga Vertov où le champ-contrechamp mis en place par les cinéastes trouble notre notion du temps présent. Chez Richard Tuohy et Dianna Barrie, c'est l'usage de superpositions de scènes de rues qui distord l'espace et le temps pour créer une vertigineuse multiplicité des points de vue. A partir d'un socle de seulement quelques images fixes de Dominique Noguez montant un escalier, le temps se dilate et se répète dans Sensitométrie III de Patrice Kirchhofer, qui comme l’explique Nicole Brenez « explore dans ce film l'ensemble des rythmes possibles, de sorte à valoriser l'irrégularité, la différence, le discontinu. »
Jean-Pierre Simard le 13/05/19
HOME MOVIE - A DAY IN THE BUSH
de Arthur CANTRILL & Corinne CANTRILL
1969 / 16mm / coul-n&b / sonore / 4' 00
DICHTUNG UND WAHRHEIT
POETRY AND TRUTH
de Peter KUBELKA
1996-2003 / 16mm / couleur / silencieux / 13' 00
A&B IN ONTARIO
de Hollis FRAMPTON & Joyce WIELAND
1984 / 16mm / n&b / sonore / 16' 05
SEEING IN THE RAIN
de Chris GALLAGHER
1981 / 16mm / couleur / sonore / 10' 00
CHINA NOT CHINA
de Richard TUOHY
2018 / 16mm / couleur / sonore / 14' 10
SENSITOMÉTRIE III
de Patrice KIRCHHOFER
1975 / 16mm / couleur / sonore / 20' 00
Barbara Probst - The Moment in Space -> 25/08/19
Le BAL 6, impasse de la Défense 75018 Paris
Dramaturgies énigmatiques - 28/05/19
Cinéma des Cinéastes 7 avenue de Clichy 75017 Paris