Live at the Electric Theater Co/Chicago 1968, un superbe concert bordélique de Tim Buckley
Dans la famille Buckley, je demande le père Tim … remarqué et signé sur Elektra, grâce au manager de Zappa, le troubadour qui va passer du folk à douze cordes au funk, après un détour psyché et le virage jazz qu’on pressent ici, est saisi au vol par un aficionado dans toute la magie bordélique de son évolution constante. C’est : “Live at the Electric Theater Co/Chicago 1968”. Et c’est (très) bien !
A croire que, comme pour le Grateful Dead, Buckley faisait un tel effet sur ses auditeurs qu'il y ait toujours eu un infatigable preneur de son qui l’a suivi, n'importe quand et n'importe où pendant sa trop courte existence. Depuis la sortie de Dream Letter : Live in London 1968 en 1990, les enregistrements d'archives de Buckley sur scène, longtemps indisponibles ( car non générateurs de cash pour son label d‘origine) refont surface avec une fréquence métronomique. Cette même année 1968, il faisait forte impression à Newport ( c’est cadeau !) et ce nouveau live le montre, essayant de trouver un nouveau son, en passant par des relectures et des ajouts/omission/transformations de ses précédentes compositions .
Comme disait Picasso : “Le génie, c’est 1% d’inspiration et 99 % de transpiration”. Alors, au fil de ce double album, on va l’entendre transpirer, tâtonner, se perdre ; pour mieux se trouver ailleurs. Mais c’est juste la magie du live pour un type qui jouait à saute-mouton avec les instruments, la voix et le styles, à toujours malaxer pour défricher. Live at the Electric Theater Co, Chicago, 1968 est le document d'un concert que Buckley a donné au milieu d’efforts prolongés pour enregistrer son LP Happy Sad de 1969, et bien que l'on puisse entendre de vagues vibrations de la sensibilité jazzy de cet album dans cette performance, le son et l'approche de cette musique sont assez différents ; on n’en est pas encore au free de Blue Afternoon de l’année suivante.
Ce soir-là, Buckley est accompagné à la guitare du percussionniste Carter C.C. Collins et d'un bassiste dont le nom a été oublié ( peut-être Danny Thompson de Pentangle avec lequel il jouait à cette période mais pas sûr… ). Buckley n'était pas étranger à l'improvisation sur scène- loin de là - , et c'est même particulièrement là qu'il laisse libre cours à sa muse, dansant avec son registre vocal comme s'il s'agissait d'un autre instrument, se faufilant dans des passages de guitare hypnotique et interpolant des morceaux d'autres chansons au fil de son envie du moment Si vous espériez entendre Tim Buckley présenter un set ciblé sur ses titres notoires ; c’est une quasi star du folk à ce moment-là, il faut oublier de suite. Il y a quelque chose de passionnant dans cet enregistrement qui le distingue d'un concert plus policé et bien qu'on ait parfois l'impression que Buckley se perde en suivant une route de lui seul connue, le voyage vaut le détour pour la façon dont il emporte vers un endroit qui vaut la peine d'être visité.
L'enregistrement est d’excellente qualité, à capter fidèlement l'ambiance du théâtre et le buzz patient du public,. Et, entendre l'artiste posé dans l’instant présent est une vraie expérience que seul le live restitue, à laisser entendre aussi bien les plantades que les envols stratosphériques réussis. Sur ce Live at the Electric Theater Co, Chicago, 1968, on entend bien la sueur couler, autant du côté de la guitare que de la voix ( qui semble ne jamais forcer, cinq octaves ça aide un peu,) Et c’était peut-être juste cela Tim Buckley, un troubadour des passages inusités, une voix merveilleuse qui vous ouvre des mondes, des portes ( à la perception), un ingérable pour les labels, excellemment auto-géré. Grand disque hanté de tous les fantômes et rêves des années 60.
Jean-Pierre Simard le 26/11/19
Tim Buckley - Live at the Electric Theater Co, Chicago, 1968 - Manifesto Records