L’Art-punk crépusculaire russe de Shortparis, future révélation des Transmusicales 2019
« Art-punk Crépusculaire », « pop noir », (avant-pop ou post-pop parfois) définirait pour la presse russe le jeu de Shortparis dont les concerts chorégraphiés relèvent du rituel chamanique. Chose qui ne devrait pas étonner, puisque trois des cinq musiciens se sont rencontrés à Novokouznetsk, ville minière de Sibérie avant de migrer à Saint-Pétersbourg et y être rejoint par les deux autres. C’est un groupe à la fois enraciné dans sa culture nationale et ouvert sur l’Europe, décidé à partager l’universalité de ses préoccupations.
Shortparis se réclame d’une tradition de performances scéniques provocantes inscrites dans un positionnement révolutionnaire depuis… 1912. Le zeste de mysticisme épice un peu un bonne rasade de futurisme revisité par le grand pianiste jazz Sergueï Kouryokhine dans les années 1985-89 à travers ses colossales « pop-mekhaniks » dont la dimension n’a pas été saisie en Occident car seules Berlin et Nantes (les Allumées 1991) en ont présenté des versions réduites. Il s’agissait de tentatives de spectacle total incluant des orchestres classiques et folkloriques, des acrobates, tandis que des plasticiens torchaient en fond de scène des toiles d’art brut de très grand format…
Shortparis se place dans cette filiation en investissant une supérette pour y improviser un rap à trois voix et une chorégraphie inquiétante. Il s’agissait de montrer que l’art est devenu un produit comme un autre et, en l’offrant dans un espace marchand, condamner le consumérisme.
En mai, on a vu Shortparis à Liverpool et au Great Escape, rare incursion de musiciens slaves dans le monde anglo-saxon, percée qui a suivi leur programmation par des festivals allemands et polonais l’été précédent. Que Shortparis parvienne à fendre la cloche de verre du marché du spectacle s’explique par le choix de chanter en trois langues, dont l’anglais et le français, ainsi que par le côté léché et audacieux de clips qui abordent sans détour les problèmes du « vivre ensemble » avec les populations migrantes (les centre-asiatiques en l’occurrence).
Shortparis milite pour l’ouverture et la tolérance sans passer sous silence les terreurs et affolements de sa génération. « On nous a simultanément traité de fascistes et d’islamistes » parce qu’on a montré ce qui fait peur aux deux communautés qui se font face.
« Jouer de la musique ne doit pas nous limiter à transmettre des sons » explique le batteur Danila Kholodkov. Ils reprennent le flambeau du Rock in Opposition dont l’opposition était aussi un antagonisme déclaré contre les formes convenues, tant il est urgent de sortir des pratiques et postures habituelles de la scène rock et titiller celles de l’art contemporain. Avec la même indifférence aux formes canoniques, le Styd (la honte) heurte la sensibilité anti-commerciale de la scène indé en imitant un clip pop vendeur. Dérouter, brouiller les codes visuels, car s’extraire des clichés mainstream ne doit pas conduire à retomber dans un standard de la contre-culture. Moquer un boys-band en se montrant capable de les imiter.
Maîtrise de l’expérimentation, revendication d’originalité ne sont pas des postures de plus : ces types qui méditent la condition de Sibériens savent de quoi ils parlent, ne se contentent pas d’évoquer David Bowie entre poire et fromage, vous parlent de Walter Benjamin entre borchtch et vatrouchka. Valent certainement qu’on aille voir à quoi ils ressemblent !
Et, pour ce faire, ils passent dans la cadre des Transmusicales de Rennes 2019 au Parc des Expos le 6/12/19
Joël Bastenaire le 26/11/19
album Shortparis - ПАСХА - autoproduit