Sursauts solaires, seconde escale : c'est un peu de rêve que... par Nina Rendulic
Transporté invariablement sur son orbite galactique, celui qui déclenche des méditations mystiques et des recherches scientifiques depuis la nuit des temps se meut ici en un levier pour des explorations artistiques : le soleil, ce puissant potentiel de rêve, effleuré par le duo Todèl (Tom Rider & Delphine Wibaux) et Kévin Cardesa, donne vie à un ensemble synesthésique et évolutif d'oeuvres. Retour sur l'exposition "Sursauts solaires, seconde escale", présentée au Centre d'Arts Plastiques Fernand Léger de Port de Bouc (13) pendant les trente derniers jours de ce début d'année, départ vers un horizon ensoleillé où le travail de ces artistes continuera son chemin de vie et émerveillera, tel le soleil qui le nourrit.
C'est ici que tout commence : face à la mer, derrière de vieux pins, sur la terrasse du château Saint Gobin, ancienne demeure des directeurs de l'usine, désormais transformée en centre d'arts, avec une galerie, des programmes éducatifs et des résidences d'artistes. Trois paraboles dirigées vers le soleil auscultent les variations dans le chant céleste de l'astre et captent quotidiennement des sursauts de son activité électromagnétique. Par un système de fils reliés à des dispositifs électroniques et un ordinateur à l'intérieur de la galerie, les données sensibles du soleil deviennent motrices de plusieurs installations artistiques, communes ou personnelles. Et si chacune parmi elles possède une esthétique forte et qui lui est propre, ensemble, tels un orchestre mû, ému par le passage du temps, ces oeuvres s'entrelacent dans une symphonie à filaments solaires, un concert dirigé par la cadence de l'activité du soleil, transcrite en musique par Kévin Cardesa et diffusée dans les salles de la galerie. Une immersion sonore et céleste, passerelle entre les sciences et l'art, l'objectivité et l'imaginaire, un point de départ pour la contemplation des oeuvres d'art et de vie.
UN POTENTIEL DE RÊVE
Ainsi, dans une relative obscurité de la plus petite des deux salles, une oeuvre in situ, installation immersive de Tom Rider, un jeu d'ombres et de lumière au moyen de miroirs thermoformés selon un procédé ancien. De la curiosité qu'éveille l'épistémologie des sciences chez l'artiste, dans une perspective de "projeter le réel", celui qui fut et celui qui est, un déplacement s'opère ici vers un potentiel de rêve que ressent le spectateur plongé dans ces représentations fantasmagoriques. Car dans ces miroirs il n'y a pas d'image qui se reflète, ils ne sont que vecteurs de traces lumineuses qui dansent sur les murs, une évocation potentielle du soleil qui n'est qu'une déformation optique ou une projection de l'épiscope. Or dans cette salle obscure les miroirs montrent des galaxies entières et l'on ne peut que rester muets face à ce mystère de la lumière des étoiles...
De l'autre côté, dans la pénombre, deux installations de Delphine Wibaux, "Témoins souples", délicats morceaux de porcelaine sur lesquels l'artiste imprègne des fragments de textes, un rapport sur l'observation de l'éclipse solaire en Algérie de 1905, un détail de taches solaires dessinées en 1873 aux États-Unis. Selon le mouvement du soleil, par un jeu de miroirs, ces artefacts photographiques s'illuminent et la lumière de l'étoile révèle, réveille, pendant un temps court, les détails invisibles, l'encre rousse, les aspérités sur la surface en porcelaine, avant de poursuivre son itinéraire quotidien. Et comme tous les jours l'astre bouge un peu plus sur son orbite, au cours des trente jours les pièces ne sont jamais illuminées au même moment : à la fin, les tâches de lumière les effleurent à peine...
UN ESPACE QUI SE REMPLIT
Au centre, pièce collective, "Radiographe pour filaments solaires". Poétique, musical, solennel même, ce titre cache une sublime installation évolutive, vivante, à la frontière entre art et sciences, entre mysticisme et émerveillement. Installé sur une roche provenant du littoral local, un dispositif mécanique nommé hélioradiographe capte et retranscrit tous les jours à 15h sur une tablette en porcelaine crue le spectre de vibrations solaires : d'apparence fragile, après cuisson les tablettes deviennent de véritables garde-mémoire des jours qui filent, un temps infinitésimal dans la vie de l'univers, mais gravé, préservé, observé et chéri. C'est l'art qui apprivoise les mystères de la vie.
En face de l'instrument sont alignées des plaques en pierre de lave qui, tel un calendrier d'un autre temps, accueillent jour après jour les trente tablettes en porcelaine, "Filaments solaires". Pièces uniques, symboles du passage de temps, ces empreintes, témoins du battement de coeur de l'astre, remplissent graduellement l'espace de la galerie. Il y a ici écriture, celle de la mémoire de notre temps, figer, dompter le temps qui passe, mais aussi celle de l'imaginaire, une allégorie ancestrale, sortir de la grotte et se rapprocher de la lumière qui donne vie...
Ainsi, la proposition artistique est évolutive et dynamique, "Sursauts solaires" se réinvente continuellement avec le mouvement du soleil, avec les jours qui filent, un projet expérimental qui capte et transcrit ce fragile potentiel de rêve évoqué dans les écrits scientifiques de nos ancêtres, un art qui permet de vivre le mystère de la vie plutôt que de s'efforcer à le comprendre... Enfin, ce qui reste, c'est la lumière, un voyage imperceptible mais immuable de la lumière - le temps, l'espace - et l'émerveillement pour le monde.
Todèl et Kévin Cardesa illuminent.
*Nina Rendulic, le 14 mars 2018
Duo Todèl (Delphine Wibaux, Tom Rider) : http://todel.tumblr.com/
Kévin Cardesa : http://cargocollective.com/kevincardesa
Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis