Psychédélisme et lutte des classes avec Les Sorcières du bord du lac
A l'heure du montage cut, ce film fantastique italien de 70 agace par son parti-pris de lenteur. Mais, sous ses dehors lents, il véhicule bien le ton révolutionnaire de l'époque, entre psychédélisme de plans et fantastique transparent pour parler lutte des classes. Pépite !
Si vous êtes fan de cinéma de genre, cette histoire de hippie voyageur dérouté pour participer à un sabbat de sorcières va vous réjouir les neurones et vous titiller les rétines avec sa mise en scène datée, mais toujours surprenante. Ambitieux, original, formellement très soigné, porté par la musique envoutante (et omniprésente) de Francesco Lavagnino, Les sorcières du bord du lac est un film fantastique affichant à son générique beaucoup de visages très connus des amateurs de cinéma de genre : on y retrouvera donc avec plaisir Ray Lovelock (Le massacre des morts-vivants, Frissons d’horreur, La rançon de la peur), Ida Galli (La queue du scorpion, L’emmurée vivante) ou encore Silvia Monti (Le venin de la peur, Journée noire pour un bélier). Cherchez l’intruse : le film met également en scène Haydée Politoff, surtout connue pour sa prestation dans La collectionneuse d’Éric Rohmer.
Assez proche dans ses thématiques du Massacre des morts-vivants, le film de Cervi met en scène un hippie épris de liberté aux prises avec trois sœurs très étranges au cœur d’un environnement de plus en plus bizarre. S’il s’avère un film relativement inégal et mélangeant volontiers les tonalités et les genres (son principal défaut est d’être probablement un peu trop long ou « flottant » dans son introduction), le dernier tiers du film, bercé par les hallucinations du personnage principal, et son époustouflant acte final termineront de plonger Les sorcières du bord du lac dans une délicieuse ambiance de conte fantastique propre à marquer durablement les mémoires, d’autant plus qu’il s’avère magnifiquement photographié par Sergio d’Offizi (La longue nuit de l’exorcisme). Le tout étant naturellement saupoudré d’une méfiance viscérale vis-à-vis de la haute bourgeoisie italienne, mère de tous les vices et de toutes les perversions, tout à fait typique des films de genre italiens de l’époque. Une petite pépite au charme très 70’s…
Comme le Romero de La Nuit des morts-vivants s'attachait à montrer la place de l’humain dans la société, l’égoïsme, le racisme quotidien, la place des « Freaks » entourés des gens dits normaux, tout en jouant sur les dangers du nucléaire avec la prolifération des zombies, Les Sorcières de Cervi jouent sur le ressort de l'impossibilité d'une solution apolitique et autonome à l'état du monde en crise d'après 68. La lente descente du héros qui passe des bras d'une sorcière à l'autre, en y laissant à chaque fois un peu de ses illusions et croyances libertaires pour finir au fond d'un trou après avoir retrouvé les fêtes de la bourgeoisie est assez ironique; mais probant.
Ici, il faut absolument appréhender la lenteur du propos de départ pour comprendre comment l'accélération et l'arrivée de chaque nouvel élément va à l'inverse du rythme propre au héros qui finira par n'en avoir plus aucun et de fait sera annihilé par ce qu'il refusait en conscience et va perdre par renoncement et apparition étrange. Deux mouvements inverses sont à l'œuvre dans le film (comme pour Easy Rider) : le héros outcast qui se range pour obtenir des faveurs en y laissant sa vie et sa substance fonctionnent come la mâchoire d'un piège qui se referme sur la perte de ses illusions. Ca reste un film de genre, daté , mais qui fonctionne pour ses décalages et la magistrale scène finale. on 'ne dira pas pus sinon que c'est à voir. Et vite !
Gilles Dalose le 14/03/18
Les Sorcières du bord du lac de Tonino Cervi (1970) DVD Edition Montparnasse