Lucky (strike), le cowboy qu'on aimerait être
Pas après pas, avec une démarche de cowboy solitaire qui ne l’est pas, le temps égrène son compte à rebours. Une issue fatale qui correspond à cette chance, comme un clin d’œil, ou mieux, un sourire à Harry Dean Stanton.
Pas après pas, de long en large, de haut en bas, traverser l’image, traverser le plan séquence… Cette démarche chaloupée, fragile mais droite dans ses bottes, c’est celle de celui qui marche. Et, il marche beaucoup au cinéma Harry Dean Stanton… On se souvient forcément du Paris-Texas de Wenders où déjà il marchait dans le désert, écrasé par un soleil de plomb. Il était seul… Et le film de John Carroll Lynch (un homonyme de David, mais « aucun lien » comme disait Chabat) référence son héros.
La figure du cowboy est usée, Caroll Lynch en fait un ultime héros, aussi vaillant que fragile, aussi rude qu’attendrissant, aussi étrange que beau, aussi troublant que sincère et on pourrait allonger la liste, tant le personnage joue sur beaucoup de registres. Seul leitmotiv : les habitudes matinales et la marche dans la ville.
Lucky sillonne le film. Lucky tisse des liens. Car s’il semble solitaire, il habite aussi la vie et il habite le monde. A transpercer de sa présence la pellicule, le désert, sa maison, les rues, le « dinner’s » du matin comme le bar du soir. Il vit depuis longtemps Lucky, il a la chance qui lui a même donné son surnom. Il est vieux Lucky, et même si il marche, il tombe. Il craint le pire, mais la seule crainte qui le saisit c’est la réalité qu’il rencontre. Il est vieux Lucky, et cette vérité là, va le rendre furieusement beau de révolte, comme si il venait de naître à nouveau. Pas une nouvelle jeunesse, non surtout pas, mais juste un nouvel apprentissage des mots, des moments partagés, des sourires qu’on échange et des rancœurs qu’on décide d’abandonner au bout des cactus. Il est vieux Lucky et sait que la réalité à sa limite, celle du monde, celle de sa propre disparition, jusqu’à celle de l’acteur en personne qui joue Lucky qui mourra avant la sortie du film. Alors oui, Il est vieux Lucky, mais il réapprend à chanter… Volver, Volver…
Lucky est le cowboy qu’on aimerait être. D’une sagesse radicale, d’une folie douce et grave, mais quand même effrayé par la peur la plus primaire. Le cinéma ce sont des rencontres. On les espère magnifiques, elle le sont parfois, puis elles passent. Elles laissent leurs empreintes avant l'oubli. Elles s’oublient. Puis vous reviennent. Comme des souvenirs aiguisés par le temps, des images s’imposent, on en cherche les clés, on en décompose les symboles et, d’un coup, elles vous sautent à la gorge.
Ces rencontres, il faut les accepter, à passer simplement en traversant votre vie… Accepter de faire quelques pas à leurs côtés, puis l’heure venue, de s'en séparer. Plan après plan, le film cartographie les chemins de Lucky qui le mènent sur la route, à croiser le monde, précisément et justement là, où nous avons la chance de le rencontrer. À vous de ne pas laisser passer la vôtre.
Richard Maniere le 8/01/18
Lucky de John Carroll Lynch