Chloe Wise à l'assaut des faux-semblants : du lait à l'argent du beurre
Valeur montante (hype) de l'art contemporain; avec sa première exposition parisienne, la Canadienne Chloe Wise explore la discordance poétique entre cultures visuelles et systèmes, produits et individus qu’elle s’attache à représenter. Ici, avec Of False Beaches and Butter Money, elle attaque l’iconographie usuelle du lait. D’images de madones modernes en représentations de vaches féminisées et anthropomorphisées, elle transpose ses propositions symboliques vers des champs improbables. Et c'est carrément jubilatoire.
L’esthétique de Chloe Wise emprunte à différentes pratiques, de l’installation à la vidéo, en passant par la sculpture, la peinture et le dessin. L’artiste dévoile les liens entre la perception et l’amélioration de soi, la création d’une image et son authenticité, en explorant les manières dont nous nous adaptons au mercantilisme de tous les aspects de la vie contemporaine.
La nourriture, au cœur d’associations inattendues, est un code que l’artiste utilise pour établir les relations entre le bien-être, la consommation, les rapports de genre, ou tout autre moyen de jouissance. Comme dans un précédente expo où, elle avait décidé de s'occuper des tampons hygiéniques avec un bonheur certain.
En jouant avec la culture folklorique juive, la société de consommation et l’éternel féminin, elle crée un portrait d’époque complexe qui questionne les frontières habituelles : elle ennoblit des champs dits populaires en les rapprochant de pratiques classiques, elle mêle fausses vidéos de télé-achats, Insta(gram)stories et arts plastiques traditionnels. C'est de l'art du temps des réseaux et ça fonctionne/frictionne à plein de niveaux.
Mais Wise revisite aussi le genre de la nature morte par le biais d’un détournement similaire. Une table en miroir réfléchit une composition sensuelle de fruits, d’huîtres et de fromages. Un ruisseau de lait coule et dégouline sur ce festin. La cristallisation d’un moment singulier d’abondance et d’opulence que ce genre artistique caractérisait autrefois est ici mise à mal par la surface réfléchissante du support de la sculpture : le miroir introduit une tension temporelle dans l’œuvre, qui change selon le point de vue du spectateur. Avec le temps, la précieuse offrande est amenée à se précariser, à flirter avec son inévitable décomposition. On imagine la formation d’une peau abjecte sur la sculpture le long de la flaque de lait, une odeur nauséabonde imprégner la salle, ou encore un fruit pourrissant se recouvrir d’un manteau protecteur duveteux. Ou alors, elle s'occupe de varier les plaisirs en parlant d'huile d'olive, à sa manière.
Enfin, Wise poursuit son élan à l’encontre du récit unique, son refus de la cohérence d’une seule métaphore, dans une nouvelle vidéo accompagnée d’une musique originale de l’artiste. Ses amis y produisent en public un spectacle de danse désynchronisée. Alors qu’ils évoluent dans un paysage luxuriant, leurs mouvements se mêlent à des poses relaxantes de yoga pour débutants trouvées dans des tutoriels vidéo sur Youtube. Les paroles, des sortes de vers ou tweets poétiques composés de bribes de mots récupérés sur les réseaux sociaux, décrivent le caractère à la fois symbiotique et disloqué de l’expérience vécue dans le cadre d’une existence submergée par les médias.
Là où les systèmes de référence se figent dans le désordre de la vie contemporaine, on retrouve la pratique du Jeff Koons des débuts, quand il avait encore envie de détourner pratiques et motifs pour s'affirmer et innover. Mais comme elle a aussi un côté Louise Bourgeois, on sent que ça va aller plus loin. C'est tout le malheur qu'on lui souhaite !
Jean-Pierre Simard le 3/09/17 (avec galerie)
Chloe Wise, Of False Beaches and Butter Money, 5/09 ->7/10/17
Galerie Almine Rech 64, rue de Turenne75003 Paris