Raul Canibano, les yeux de Cuba chez Central Dupon
Si un photographe actuel participe à la fois du surréalisme et de la réalité la plus crue, il s'agit sans doute du Cubain Raul Canibano qui, à la manière d'un Garcia Marquez, se sert du réalisme magique pour rendre compte de ce qu'il perçoit. Exposé chez Central Dupon ces jours-ci, le découvrir fait un choc, tant la cohérence de son univers ne montre que la singularité première de l'île. Mais sous quel angle !
Scènes de rues, de fêtes, de pèlerinages, ville et campagne, tout se métamorphose en paysage irréel, grâce aux cadrages et jeux sur la lumière. Avec un sens inné de la composition, Raùl Cañibano brouille les repères, trompe de spectateur en créant des illusions d'optique. Son esthétique se rapproche de la photographe classique de rue en noir et blanc estampillée Magnum, mais ce serait trop réducteur.
Pas de mise en scène, pas de montage ou de modification a posteriori ici, mais la simple collision de plusieurs facteurs : le contenu, l'instant et le choix du cadrage sont les seules causes de la richesse de l'image, précise Patrice Loubon qui a rencontré Raùl Cañibano en 2006, alors qu'il voulait proposer à des photographes cubains d'intégrer la galerie nîmoise pour les promouvoir en France. Depuis, Raùl Cañibano a vu son succès grimper en flèche, notamment en Australie et en Norvège où il a vendu récemment deux fois la grande exposition qu'il présentait.
D'un côté, des vagues entrent dans la ville en terrain conquis. Un vieillard accroupi, au-dessus de son sanctuaire illuminé de bougies, lance un regard d'illuminé au-dessus de sa barbe immaculée. Les yeux ridés d'une vieille femme surmontent et se rajoutent à la tête d'un diable sculpté dans la pierre. Un enfant enroule son visage dans du linge qui pend et devient fantôme. Une fillette tient une ombrelle dont il ne reste que les baleines tandis qu'un squelette d'animal affublé d'ailes en tissus semble voler suspendu au-dessus d'elle. Une autre serre dans ses bras comme une poupée un poulet rachitique.
Le Cuba de Canibano retrouve les accents féériques que Varda avait déjà montré au début des années 60, la raison pour laquelle l'enchantement pour l'île était devenu une réalité, les barbudos en plus. Quasi 50 ans plus tard, le surréalisme est intégré à l'image. Nul ici ne s'en plaindra. J'ai mélangé des tirages de l'expo avec ceux de précédentes; mais je vous conseille d'y aller pour découvrir un tirage qui occupe tout un mur avec deux personnages et un fonds. C'est la plus belle photo vue ces derniers mois… Let's go !
Jean-Pierre Simard le 29/06/17
Raul Canibano chez Central Dupon 74, rue Joseph de Maistre
75018 Paris
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