Rancillac se montre dans l'ex-bunker du PC
La rétrospective Bernard Rancillac proposée à l’Espace Niemeyer dans les anciens locaux du PC réunit sur 1300 m2 une centaine de pièces : peintures, objets, affiches, installations, collages, s’étalant de 1961 à 2015. Elle permet une approche complète de cette grande figure de la Figuration Narrative. Mais pas seulement.
Bernard Rancillac est né en 1931 et dans les années 50, il s'est formé à la gravure à l’Atelier 17 L’apprentissage de ce médium, écrit Serge Fauchereau, révolutionne son rapport au dessin et à la ligne. Après un passage par le noir avec des œuvres comme La chambre noire, Pierre de lune, Le Livre du fils (1961) mêlant plusieurs techniques, puis un passage par le blanc avec la série matiériste des Fantômas (1962), Rancillac revient peu à peu la couleur avec de grands dessins et une peinture nerveuse, pleine de saveur et de dérision. Dans le climat politique international des années 60, extrêmement tendu, il entame une réflexion sans concession sur la société de consommation, la culture populaire et l’actualité la plus brûlante. Il partage alors sa vision de l’art et du monde avec un groupe de jeunes peintres en rupture avec l’abstraction, de nationalités diverses, aux aspirations pas toujours communes, mais aux inspirations similaires.
Réunissant trente-quatre artistes, elle marque les esprits par l’utilisation qu’ils font de l’image à la fois banale et toute puissante, il organise l’exposition Mythologies quotidiennes au MAMVP en 64. La Figuration narrative est née. Profondément concerné par son époque, il puise dans un répertoire d’images très variées (cinéma, photographie, publicité, bande dessinée, roman-photo…) pour aborder les sujets qui lui tiennent le plus à cœur.
Traduisant par de grands aplats acryliques vivement colorés et d’inventions formelles d’une grande force plastique, - Souvent qualifié de peintre « historique » ou de peintre engagé - , il évoque de façon décalée, violente ou sarcastique la cruauté et la sottise multiformes du monde (famine, racismes, guerres…). En nous faisant entrer de plain-pied dans une réalité souvent tragique, ilse garde bien d’ajouter « de l’horreur à l’horrible ». Mais les controverses qui accompagnent ses tableaux depuis ses débuts prouvent qu’il dérange.
Toutefois, son registre thématique ne s’arrête pas à la seule politique : les femmes – qu’elles soient des stars ou des anonymes, vêtues ou nues - s’y taillent une belle place, ainsi que Mickey, le sport, les musiciens de jazz, les voitures… Exigeante, cohérente et subversive, son œuvre accessible au plus grand nombre, composé de séries sur lesquelles il a opéré et opère parfois encore de nombreuses variations (Mickey, musiciens de jazz, stars de cinéma…), témoigne de la volonté délibérée du peintre de miner la réalité, après avoir miné l’histoire de l’art.
Bien que l’effet plastique prévale sur toute autre préoccupation et que son combat premier soit avant tout la peinture, Rancillac utilise son pinceau comme un coup de poing non pour défendre une quelconque idéologie, mais pour forcer le regard de celui qui ne veut pas voir. Selon Marcuse, « plus une œuvre est immédiatement politique, plus elle perd son pouvoir de décentrement et la radicalité, la transcendance de ses objectifs de changement ». Les artistes de la figuration narrative se sont ainsi opposés au pop art américain qu'ils jugeaient trop hégémonique, trop formel, indifférent aux luttes politiques de l'époque et pas assez critique de la société de consommation, tout en utilisant certaines expressions formelles similaires.
On pourrait continuer des heures sur sa participation à l'Atelier des Beaux-Arts en 68 ou la continuation de son œuvre politique quand beaucoup s'en sont détournés au fil des 70's. Mais on est sûr de le retrouver comme une des inspirations de Bazooka, et surtout de Kiki Picasso, dont on pourrait mettre les dernières œuvres exposées à Maison Rouge en regard avec celles exposés dans le bunker au même moment.La peinture n'est pas morte. L'Histoire non plus, car à 85 ans, Rancillac s'exprime toujours … L'art n'est pas fait pour s'endormir le soir dans son lit.
Maxime Duchamps, le 2/03/17
Rancillac / Rétrospective -> 7/06/17
Espace Niemeyer, 2 place du Colonel Fabien, 75019 Paris
Du lundi au vendredi de 11 h à 18 h 30 et les samedi et dimanche de 13 h à 18 h (fermé les jours fériés). Entrée libre