Elwan, les hommes bleu de Tinariwen au pas de l'éléphant

Trente ans de carrière et un huitième album qui sort enfin pour pour les toujours mouvants Tinariwen, nés entre Tamanrasset au sud de l'Algérie et Tessalit au nord du Mali dont ils ont été chassé peu avant la sortie de leur album précédent Emmaar, pour cause de vraie mésentente avec les voyous auto-revendiqués islamistes au pouvoir sur place en ce moment. Alors, après l'amble du chameau touareg, voici venu le temps du pas majestueux des éléphants (Elwan). 

Entre Paris, San Francisco et le Maroc, ils ont enregistré cet impeccable album avec à la production, Patrick Votan, comme la dernière fois, qui s'est ingénié à retranscrire encore plus finement le pouvoir subtil des percussion du groupe, tout en lui donnant des sonorités plus rock. Et c'est exécuté tout en finesse, tant les invités s'intègrent au son du groupe, à ce mélange dont aurait pu rêver Ry Cooder en écrivant Paris-Texas, à balancer entre deux continents tout en gardant son accroche terrienne touareg pour envoyer du blues bien électrique, mais lissé au vent du désert et plissé d'autres rythmes.

Cela dit, le son est vraiment accessible, et immédiat dans son approche, renforcé en cela par la présence de guests plus rock qu'à l'habitude comme Kurt Vile, Mark Lanegan, Alain Johannes, et Matt Sweeney et les arrangement sont discrets, comme on sent bien leur présence aussi légère qu'effective.“Ténéré Tàqqàl,” envoie des riffs serpentins qui viennent en soutien aux paroles qui s'attardent sur l'insurrection autant humaine qu'animale. “Imidiwàn N-Àkall-In,” est une tournerie qui s'appuie sur les paroles du leader et guitariste soliste Ibrahim Ag Alhabib : “Mon peuple a abandonné ses traditions ancestrales et tout ce qui nous reste est un pays qui gémit sur ses enfants et ses vieillards". Mais, malgré la rancœur qui agite Elwan, on sent quand même bien poindre au fil des 13 titres de l'album, comme la motivation qui les anime, autant l'amour que la joie et l'espoir.  Ainsi, sur la quasi ballade “Nànnuflày,” les riffs développés servent à introduire un question-réponse avec Mark Lanegan qui renvoie : "Je ne suis pas un somnambule, j'ai dépassé cet état-là, aujourd'hui Dieu est dans mon cœur." 

Ces exilés de l'intérieur ont trouvé le moyen de suivre leur chemin, de pousser jusqu'à leur vérité intérieure qui s'affiche ici de la plus belle eau - et du désert !  L'album est aussi superbe que réussi. As usual, un enchantement. Et pour reprendre le parallèle Ry Cooder avait joué avec Ali Farka Touré au Mali … la boucle est bouclé, puisqu'aujourd'hui ces Touaregs déplacés repoussent des imites jamais envisagées auparavant. 

Jean-Pierre Simard

 

Tinariwen - Elwan - Anti-Records