Marlene Monteiro freitas fait sa Bacchante à Montreuil
Marlene Monteiro Freitas ose à peu près tout, et les scènes européennes la réclament. Chorégraphe du mystère et des émotions indomptées, la jeune Capverdienne embarque cette fois treize performeurs dans une intense bacchanale inspirée d’Euripide où l’humain se trouve inextricablement écartelé entre raison et folie. La danse comme retour au théâtre originel.
Avec Bacchantes – prélude pour une purge, Marlene Monteiro Freitas propose une création d’une réelle envergure. Ceux qui connaissent son travail ne seront pas étonnés de la voir plonger dans la pièce d’Euripide, elle qui se dit fascinée par l’étrangeté et la transgression des carnavals de rue. Formée chez Anne Teresa De Keersmaeker, à Bruxelles, et à la Fondation Gulbenkian, à Lisbonne, elle a notamment dansé avec Emmanuelle Huynh, Loïc Touzé et Boris Charmatz avant de collaborer avec Trajal Harrell, François Chaignaud et Cecilia Bengolea et de monter ses propres projets (Jaguar, De marfim e carne…, Paraiso, Guintche…) à partir de 2010.
L’impureté, l’animalité et l’expression brute des émotions sont au cœur de ses précédentes pièces. Là encore, la folie, le trouble et les corps qui s’entrechoquent traversent ces Bacchantes où la psyché humaine se trouve sous influences contradictoires, entre l’harmonieuse raison d’Apollon et l’appel sauvage de Dionysos. Ce détour par la mythologie grecque n’empêche en rien la chorégraphe, qui danse ici comme dans toutes ses productions, de regarder le chaos du monde contemporain droit dans les yeux, tout en actualisant la première pièce féministe du répertoire grec ancien.
Le thème des Bacchantes, de la bacchanale, correspond parfaitement à votre danse, à cet esprit de carnavalesque l’on trouve dans la plupart de vos créations.
La pièce d’Euripide est à bien des égards trompeuse, surprenante, excessive... Donc, pour moi, carnavalesque. Dans Les Bacchantes, les choses ne sont pas telles qu’elles apparaissent, les situations ne se déroulent pas comme prévu... Il y a des personnages hors d’eux-mêmes, en état de délire, il y a du mystère et de l’illusion : pas de règles de causes à effets, nul besoin de résolution logique, tout est possible. Cela rejoint l’idée que je me fais de la fiction, qui pour moi est le sens ultime du théâtre. Euripide crée une fiction à partir d’un rituel qui existe réellement. Nous créons une fiction à partir de la fiction d’Euripide.
Quelle est la spécificité de cette nouvelle création ?
C’est l’aspect musical. Non pas en raison du grand nombre de musiciens impliqués mais bien parce que nous avons abordé la pièce d’Euripide sous un angle musical. La musique, dans le cas présent, apparaît comme le contrepoint du sens. Sa force et son intensité tiennent lieu d’action en elles-mêmes plutôt que de représentation.
L’animalité, les émotions, le trouble, l’étrangeté sont des concepts qui traversent votre œuvre. D’où cela vient-il ?
Je suis curieuse et je suis attirée par ce que je ne connais pas ou ce que je ne comprends pas complètement. Les mots des autres, l’étranger, l’inconnu sont pour moi fascinants. Par ailleurs, ce que j’aime le mieux et qui me semble le plus puissant au théâtre, c’est la communion entre le public et les artistes, autour d’une fiction, d’une construction mentale, d’un mensonge. Dans une fiction, on peut s’autoriser à rapprocher des choses, à les combiner alors que ça n’existe pas dans la réalité. J’ai toujours pensé qu’il y a une vraie force qui se dégage de ces combinaisons.
Doit-on y voir un commentaire politique des désordres contemporains ? Êtes-vous inspirée par la situation politique et sociale actuelle ?
Je suis souvent très touchée, perturbée voire angoissée par des choses qui m’environnent, dans la rue, dans les gares, les aéroports, aux informations... et ces choses se retrouvent dans mon travail mais de façon plus subtile. Je n’ai jamais travaillé de façon directe sur un sujet politique. Néanmoins, j’ai toujours espéré que le public y voie des connections avec ça. Les spectateurs construisent leurs propres fictions. Je pense que la scène joue un rôle pour l’humanité au niveau de l’imagination, à travers la constitution d’une communauté. Peut-être que la façon dont les danseurs et les musiciens participent à la pièce, ou la façon dont nous combinons différents éléments, correspond à ma façon à moi d’être politique sur le plateau.
Diffusée en grattage à Beaubourg la semaine passée, il vous reste la chance au tirage, en allant à Montreuil …
Festival d'Automne, editing et humour Jean-Pierre Simard le 18/1/17
Marlene Monteiro Freitas- Bacchantes – prélude pour une purge-> 21/12/17
Nouveau théâtre de Montreuil, centre dramatique national 10, place Jean Jaurès – 93100 Montreuil