Abbott et Maier s'exhibent aux Douches
Qu’est-ce qui rapproche ces deux femmes aux destins si différents (en dehors du commissaire d'exposition) ? Quand Berenice Abbott cherchait la lumière après l'avoir découverte avec Man Ray et Eugene Atget, Vivian Maier, nourrice de profession, n'a jamais rien montré à personne. Alors, au-delà des attitudes dissemblables, juste une vraie passion à documenter le réel par deux trajectoires sans concession.
Berenice Abbott fut l'assistante de Man Ray qui lui apprit l’art du portrait et de la chambre noire et la fit rencontrer Eugène Atget, l’un de ses voisins, rue Campagne-Première. « Le choc du réalisme sans fioriture», dira-t-elle face à ses tirages, avant d’acheter, à sa mort, une partie de son œuvre, qu’elle revendra en 1968 au MoMA de New York. S’il est impossible d’aborder Abbott sans citer Atget, c’est qu’il y a, de la part de cette jeune Américaine, plus qu’un attachement : un authentique engagement. Comme si Atget, capable selon elle «de voir le monde réel avec émerveillement et surprise », lui avait ouvert les yeux.
Dès ses premiers portraits (bohême rive gauche, exilés américains), l'efficacité de son style est patente, autant pour ses modèles assis, le langage des mains, que les profils exquis. Aucun effet, juste de la gravité. Elle saisit plus que ses sujets, elle accède à leur surmoi. La plénitude sera au cœur de Changing New York, vaste projet entrepris entre 1935 et 1939, alors qu’elle a quitté la France pour les États - Unis. Son retour n’est pas facile en 1929, mais New York, en pleine extension verticale, l’enthousiasme. Gratte-ciels, ponts, devantures des boutiques, cela va s’accorder à son échelle humaine, où il s’agit de montrer « le passé bousculant le présent ».
Ses photographies sont aussi surprenantes, qu'on y trouve un parti-pris fictionnel, comme pour le hall de Pennsylvania Station, dont elle restitue la solennité de plateau de cinéma, en attente de stars, et non de simples voyageurs, ou dans ses clichés réalisés pour le MIT. Hors contexte, ses vues hypnotiques révèlent les expériences invisibles, les champs magnétiques et ces planètes inconnues qui naissent, par exemple, des rebondissements d’une balle. « La vérité est difficile à trouver, il faut beaucoup de travail»…
L’apparition de Vivian Maier a bouleversé les dogmes du regard. Lors d’une vente aux enchères, en 2007, à Chicago, John Maloof, l’un des principaux acquéreurs, a acheté pour 400 dollars des cartons et des valises ayant appartenu à miss Maier. À l’intérieur : entre 100 000 et 150 000 négatifs, plus de 3000 tirages, des centaines de bobines Ektachrome non développées. La quantité n’a jamais prouvé le talent, mais là, entre les biens acquis par Maloof, plus ceux de Jeffrey Goldstein et de Ron Slattery, il y a de quoi être ébahi.
Depuis, le parcours de cette nounou qui profitait des demeures des enfants qu'elle élevait pour développer ses tirages dans la salle de bain ne cesse d'intriguer par sa discrétion. De Rolleiflex en Leica, elle mitrailla les rues de New York et de Chicago, les passants, les pauvres sur les trottoirs, les poupées dans les poubelles, les bigotes à bijoux, les Cendrillons d’après minuit... On lui doit aussi une série d’autoportraits d’une extrême intelligence ; à la limite de la hantise, ses jeux de miroir font parfois peur. Lorsqu’elle voyagea autour du monde, grâce à l’héritage de sa grand-tante, elle continua à photographier, sans pour autant montrer ce qu’elle avait vu.
Depuis 2007, la machine à inventer Vivian Maier s’est mise en route. Films, livres, expositions, la « Mary Poppins de la pellicule » a dû supporter bien des commentaires ( mais pas forcément idiots, un gibier de choix excite l’imagination). L’une des expositions made in France, par le Jeu de Paume (2013), a montré que Vivian Maier - qui adorait le cinéma - réalisait aussi des films super-8, et qu’elle était une intervieweuse du tonnerre. Tout ce flou qui l’entoure n’est pas prêt de se dissiper. Certitude : ceux qui ont acheté des tirages ne pourront le regretter, cette femme d’une bravoure feutrée donne envie d’être à ses côtés. Dans son ombre …
Bérénice Abbott & Vivian Maier - Une fantastique passion -> 26 /11/16
Les Douches, la galerie 5 Rue Legouvé, 75010 Paris
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