Eva Stenram : cachez ces pin-up que je sache les voir !
Ces photos de pin-up, on en a déjà tant vues qu'on ne les regarde même plus. Après traitement par Eva Stenram, on se dit qu'à l'évidence, on avait tort.
La pratique photographique d'Eva Stenram tient à la fois de l'archive analogique et de la manipulation digitale. Avec sa technique mixte, elle crée des scénarios ambivalents dont la bizarrerie tient au décalage temporel et culturel qu'elle induit par son traitement des images, qu'elle nous force à regarder autrement. Et souvent, comme c'est le cas avec "Positions", une série réalisée sur commande en 2014 pour un studio de danse londonien, qui lui avait demandé un travail fait pour inspirer les danseurs et destiné à être accroché dans son foyer, - c'est beau, non ? -, à les voir comme si c'était pour la première fois, avec des yeux neufs. Car ces photos de pin-up des années 50 et 60, à partir desquelles elle a imaginé partir pour saisir des moments, ou plutôt des possibilités de danse, le paradoxe étant que les modèles, à la base, ne dansent pas, mais prennent la pose, on en a déjà tant vues qu'on ne les regarde même plus. Après traitement par Eva Stenram, on se dit qu'à l'évidence, on avait tort.
Comme de nombreux artistes du XXIe siècle, elle travaille à partir d'un fonds d'images récupérées aussi bien dans les magazines, les négatifs qui traînent et sur l'internet. Celles-ci, scannées ou digitalisées, sont ensuite réinterprétées en fonction de l'objectif à atteindre, mais en ressortent à chaque fois entièrement renouvelées. Ce n'est pas de l'emprunt, c'est du refaçonnage total. Comme en témoigne sa nouvelle installation (prenez place dans le fauteuil du mateur !) dans une galerie hollandaise.
Pour «Drape», son travail le plus connu, elle avait détourné d'autres photographies, de sorte que les draps et rideaux présents au fond des scènes apparaissent en premier plan. Le procédé bouscule notre rapport au temps et à l’espace, puisque notre oeil est contraint d’observer ce qu’il aurait sans doute ignoré, sans pouvoir, pour autant, totalement s’abstraire du sujet principal de l’image originale, malgré sa dissimulation.
Ce qui passionne la photographe, c'est d'établir des rapports entre voir et être vu, ou surveiller versus être observé. De ce fait, la photo est à la fois sujet et médium.
Jean-Pierre Simard
Eva Stenram: Offcut à The Ravestijn Gallery jusqu'au 22 octobre 2016.
Westerdoksdijk 603-A 1013 BX Amsterdam The Netherlands