L'audace de Dorothy Iannone balaie l'hypocrisie morale ambiante
Après des études de droit puis de littérature, Dorothy Iannone commence à peindre. Son premier éclat date de 1961 : elle engage un procès contre le gouvernement américain qui interdit encore le roman de Henry Miller “Tropique du Cancer”, paru en France en 1934. Influencés par l’expressionnisme abstrait, ses débuts artistiques témoignent d’une grande maîtrise plastique, mais c’est en s’écartant de l’abstraction qu’elle ouvre sa voie personnelle, liquidant la matière picturale au profit du récit et de son expression graphique. Textes, figures et ornementation exubérante se bousculent jusqu’à la saturation, comme chez beaucoup de singuliers de l’art.
Au début des années 1960, elle co-fonde et anime une galerie à New York. En 1966, elle rencontre Robert Filliou sur la côte d’Azur, puis Emmett Williams à New York à la fin de la même année. Le dessin de Dorothy Iannone prend vite la forme illustrative dont elle ne se départira jamais. Caractéristique notable, à partir de 1966, qu’ils soient conviés nus ou habillés, l’artiste dévoile délibérément les organes génitaux de ses personnages. Cette excentricité prend un tour irrévérencieux quand, dans sa série de figurines intitulée “People”, elle campe le portrait du président Johnson, de Robert et Jackie Kennedy en pleine guerre du Vietnam. Ses propres démêlés avec la censure surviennent justement en 1967 lors d’une exposition personnelle à Stuttgart, intégralement confisquée par la police qui réunit un tribunal de critiques et d’historiens d’art. Ces derniers réfutent finalement le caractère pornographique imputé aux œuvres en alléguant divers exemples artistiques extra-européens, références corroborées par les nombreux voyages que fait Iannone à cette époque, notamment en Inde.
Invitée par l’artiste Dieter Roth à participer à une exposition de groupe à la Kunsthalle de Berne en 1969, elle sera encore confrontée aux mêmes problèmes, cette fois à cause des autres participants et du maître des lieux, Harald Szeemann qui lui demandèrent de couvrir ces sexes omniprésents dont la vue les incommodait. Le travail de Dorothy Iannone est autobiographique, sa rencontre avec Roth, à la fois muse et amant, constitue un repère décisif dans sa vie personnelle et un motif inlassablement repris dans son œuvre, qui prône implicitement l’égalité des sexes et explicitement la roborative vertu de l’activité sexuelle, entre expérience vécue et célébration mystique.
A la limite de l’art brut, juste sur le passage clouté… c’est ce qu’oublie de préciser Frédéric Paul, commissaire d’expo et auteur du commentaire qui fait le corps de ce papier. Et c’est encore une fois cette singularité, cette différence, cette présence de l’autre dans l’art qui fait signe et ouvre des ailleurs pour mieux parler d’ici. Comme pour Bacon, on a envie de dire. Dans un monde - même artistique qui gomme, pour le futur client/spectateur - , l’idée d’altérité. Ben justement, tiens ! Très fort !
Jean-Pierre Simard