L'AUTRE QUOTIDIEN

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Ezra Collective ne joue jamais où on les attend - et c'est jouissif !

Coachée par Gilles Peterson la nouvelle scène jazz anglaise a retrouvé des couleurs et propulsé nombre d’aventures qui, toutes parties du jazz, débroussaillent de nouveaux sons et textures. Autour de Shabaka et ses collaborateurs, d’abord responsables du meilleur concert cet été à Vincennes, jusqu’au nouvel album d’Ezra Collective qui va faire des remous. Attaquons la mémoire de l’eau ici-même… 

On avait d’abord pensé écrire sur le nouveau Ibrahim Mallouf (Capacity of Love) avec un casting galactique pour un résultat convaincant, revenir sur Tom Skinner et ses Voices of Bishsara ( les sidemen de Shabaka se la donnent à donf et c’est impressionnant) ou encore le First Light du Village of the Sun (Binker + Moses + Simon Ratcliffe de Basement Jaxx) très électronique ta B.A.C. avec poussées coltraniennes maîtrisées… Et puis, on choisit de faire simple ( je ne mens jamais sauf si nécessaire) pour écouter en boucle le Where I’m Meant To Be d’Ezra Collective et se dire que si le COVID a mis la zik en stase pour les live, en studio ou via numérique c’était la fête des croches ( avec ou sans Annie, en double ou en solo, voir en trio … ) et le renouvellement du son trouvé en se remettant - de force - en question offre un plus large panorama musical.

Ce ne serait pas non plus un album d'Ezra sans quelques collaborations et après avoir travaillé avec des noms comme Loyle Carner et Jorja Smith dans le passé, cet album commence par un featuring explosif et joyeux de l'artiste zambien Sampa The Great sur "Life Goes On". L'énergie que le groupe transmet et que Sampa canalise à travers ses paroles est du genre à vous donner envie de vous lever et de danser, et cette énergie contagieuse se poursuit tout au long des premiers morceaux de l'album.

Victory Dance", la chanson la plus frénétique et la plus excitante de l'album, suit rapidement. Une brève incursion dans la samba et les styles d'Amérique latine, c'est une joie à écouter. Des solos de tous les membres du groupe font des apparitions sur ce morceau, mais tous passent après Joe Armon-Jones. Le piano de "Victory Dance" est exquis. Il comporte de multiples glissandos (lorsque vous passez vos doigts sur les touches du piano) qui s'emboîtent parfaitement, plus de notes contrastées et de belles résolutions que je ne saurais dire, et montre son approche merveilleusement créative du piano jazz. C'est un moment fort en 10 minutes. Du solide, tout droit sorti des pièges.

Kojey Radical fait la meilleure apparition de l'album sur "No Confusion" avec un couplet caractéristique, audacieux et turbulent, avant que l'ambiance de l'album ne change et prenne une approche plus sombre, détendue et lourde en basses. Les influences dance-hall sont indéniables sur les quelques morceaux suivants, même avant que " Togetherness " ne s'ouvre sur un appel fortement accordé de " up in the street they call it Ezra ", faisant directement référence à Welcome to Jamrock de Damian Marley. Ces styles sont présents tout au long de l'album et constituent un grand changement de rythme ; chaque chanson donne un refrain musical différent et se déplace avec sa propre énergie. Cela montre la croissance et la maturité du groupe qui reconnaît que tout n'a pas besoin d'être à 100% tout le temps et le rythme de l'album bénéficie de ces changements de rythme massivement.


Cependant, "Where I'm Meant To Be" perd un peu de son élan aux deux tiers de l'album. L'apparition d'Emeli Sande est un peu trop poussée et un style trop différent pour qu'Ezra Collective puisse l'intégrer sans problème dans cet album. Le début est lent et il faut près de quatre minutes pour que le son du groupe s'harmonise bien avec la voix de Sande. C'est l'un des morceaux les plus faibles de l'album et il bloque malheureusement l'élan du groupe. Associé à l'interlude suivant, " Words by Steve ", il crée involontairement un fossé entre le début explosif et stylé de l'album et le dernier tiers plus lent.

Belonging " et " Never The Same Again " font de leur mieux pour essayer de retrouver la force de l'album, avec le breakdown de " Never The Same Again " qui redonne un peu d'énergie au son d'Ezra. Une fois de plus, c'est Armon-Jones qui vole la vedette avec un solo de piano époustouflant qui entraîne tout le monde avec lui pour donner du peps à l'album. Ife Ogunjobi fait également entendre quelques notes criardes avant que nous ne soyons ralentis pour l'interlude "Words by TJ", certes très touchant.

Il raconte une petite histoire sur la rencontre de TJ avec un fan après le concert, mais si on lit entre les lignes, on voit que Ezra Collective a trouvé un sens plus profond à sa musique, une raison supplémentaire de jouer, et qu'il sait maintenant où il est censé être.

L'album pourrait s'arrêter là, mais "Love in Outer Space" est un morceau de fin classiquement jazzy avec Nao qui fournit des paroles éthérées et nasales qui mettent un point final au projet. Ce n'est pas un final époustouflant, mais il permet à l'album de boucler la boucle de son voyage sonore et de se terminer de manière très satisfaisante.


Where I'm Meant To Be montre le désir croissant d'Ezra Collective de repousser les limites de la musique qu'ils font, en brouillant toutes les lignes imaginables, et en créant leur propre son unique. Bien qu'ils n'aient jamais été un quintet de jazz traditionnel, ils ont définitivement abandonné tout vestige de ce titre avec cet album. Il s'agit de l'une des œuvres les plus fortes du quintet, d'une cohérence remarquable pour un album aussi diversifié dans ses sonorités et d'une durée de plus d'une heure. C'est un témoignage de leur processus créatif, des talents extraordinaires de chaque membre et de leur unité pour créer quelque chose d'extraordinaire. Foncez les voir live, ce sera la teuf !

Jean-Pierre Simard le 7/11/2022
Ezra Collective - Where I’m Meant to Be -
Waiting Room Records