Juanita Euka, Congo afro-cubain-londonien

En 1981, un certain François libérait les ondes d’Elkabbach et permettait d’entendre autres discours politiques, voix d’ailleurs et enfin musique de partout. On revote en fin de semaine et rien ne vous empêche de virer les sbires des bol à raie de vos neurones. Au hasard, un peu, et en bonne compagnie, par principe, découvrons Juanita Euka, une présence singulière de la scène musicale londonienne.

Juanita Euka est une présence singulière de la scène musicale londonienne. Nièce de la star congolaise de la rumba Franco (Luambo Makiadi), Euka a grandi entourée d'artistes congolais et afro-cubains dans sa maison du quartier Belgrano de Buenos Aires. Après avoir déménagé à Londres à l'âge de 14 ans, Euka en est devenue une incontournable de la scène musicale latino-américaine, ayant fait partie du groupe afro-péruvien Malambo et du London Afrobeat Collective. Son éducation unique lui a donné un éventail d'influences allant de la musique de guitare congolaise et de la rumba, à l'afrobeat, au tango, à la cumbia villera, à la salsa, au boléro et à la pop. Entre ses mains, ces genres brillent d’une fusion singulière - des harmonies vocales fermement ancrées dans la pop et le R&B, mais une musique et un esprit qui honorent le voyage d'Euka à travers l'Amérique latine, l'Europe et la République démocratique du Congo. Son premier album solo, Mabanzo, est un modèle de ce que la musique latine pourrait être si elle embrassait ses différences.

Mabanzo signifie "pensées" en lingala, le titre résume l'esprit du disque - une collection d'histoires en anglais, espagnol, français et lingala sur l'amour et les peines de cœur, l'unité africaine, les dangers de choisir le matérialisme plutôt que l'amour, la liberté du colonialisme et une spiritualité globale. "Alma Seca", ouvre l’album par un funk infusé de guitare espagnole. Avec sa ligne de basse espiègle, son jeu de guitare et son ambiance sensuelle, le morceau sert de point d'entrée à la fusion musicale d'Euka qui passe d’un genre à l’autre sans se répéter : du soukous inspiré de "Mboka Moko" - une ode à ses souvenirs du Congo - au banger salsa pop "For All It's Worth", à la milonga campera andine de "Sueños de Libertad".

La façon dont Euka passe d'une nuance à l'autre - le jeu de guitare, les inflexions vocales, les styles de percussion - offre une tapisserie chamarrée sur la création d'un son pan-latin et pan-africain, où tout s’avère indispensable. "Baño de Oro", une rumba cubaine aux accents congolais sur laquelle Euka canalise et rend hommage à ses favoris afro-cubains de toujours, comme Celia Cruz et La Lupe. Mabanzo marque un nouveau possible pour la musique latine, où les genres traditionnels et contemporains peuvent servir de fil conducteur et de véhicule pour raconter des histoires fascinantes sur les complexités de nos identités et la joie de créer son propre chemin culturel dans le monde en un construire-déconstruire brillant.

Jean-Pierre Simard

Juanita Euka - Mabanzo - Strut