Le toucher subtil des sculptures de Katinka Bock
Les sculptures, performances et installations de Katinka Bock sont le résultat d’une expérience liée à un lieu spécifique, dont elle aurait sondé les conditions physiques et matérielles, tout en explorant leur dimension historique, politique et sociale. Comme c’est le cas à Beaubourg et Lafayette Anticipations, en ce moment-même.
Le travail de Katinka Bock poursuit une histoire de l’art et de la sculpture occidentale récente marquée par le process art, l’art in situ ou même l’arte povera, il prolonge les possibilités d’expansion de la sculpture et l’ouvre à la forme presque désincarnée, processuelle et protocolaire, sans pour autant la disséminer.
L’implication du corps et l’articulation de l’espace et du langage se sont peu à peu affirmées dans la démarche de Katinka Bock. Au-delà de l’empreinte de courants artistiques, son travail « […] a ceci de fascinant qu’il s’appuie sur des choses extrêmement concrètes, dans [sa] relation aux matériaux, aux gestes, aux formes, à l’espace, au temps, tout en ouvrant sans cesse vers un ailleurs – vers quelque chose de beaucoup moins saisissable, qui relève souvent de l’absence, de l’immatériel, de l’horizon.
Le travail de Katinka Bock a fait l’objet de nombreuses expositions institutionnelles à l’international mais, de manière surprenante, jamais à Paris, ville qu’elle habite pourtant depuis plusieurs décennies. La restauration d’un bâtiment à Hanovre offre une occasion inattendue de concevoir avec Katinka Bock un projet original et spectaculaire dans tous les espaces de Lafayette Anticipations.
Ce bâtiment, le Anzeiger-Hochhaus de Hanovre, est l’un des édifices marquants de la ville. C’est un grand bloc rectangulaire de briques rouges surmonté d’un dôme de 12 mètres de diamètre d’un cuivre verdi par le temps. Lieu mythique d’activité éditoriale, son sous-sol a vu naître des périodiques aussi importants que Der Stern ou Der Spiegel. La restauration de ce bâtiment classé a été l’occasion pour Katinka Bock de récupérer une partie des plaques de cuivre.
L’artiste voit dans la configuration du bâtiment de Hanovre des analogies avec celui de Lafayette Anticipations, lieu de pensée et de création dont les sous-sols sont dédiés à la production, pour s’élever vers des espaces publics dont la caractéristique ascensionnelle physique mais aussi symbolique ne lui a pas échappé. Katinka Bock propose d’occuper l’espace central de la Fondation avec une installation tout en suspension, dans laquelle s’exprimera en majesté sa poétique de la mesure, sa sensibilité rare de la matière et du temps.
Dans le même temps, elle expose aussi à Beaubourg, dans le cadre du Prix Marcel Duchamp, Landumland où elle revient sur sa notion de l’espace : "La partie la plus intéressante dans l'espace c'est toujours le bord et ce qui est derrière.... ce qui m'intéresse surtout c'est aussi de parler de ce qui n'est pas là, cet autre coté de l'espace." Ce qu'elle aime, c'est souder, coudre... le bronze, la céramique, le bois...” Dans Landumland, la dimension in situ transparaît de plusieurs façons : l’œuvre s’articule autour d’un damier de plaques de cuivres, qui ont été laissées pendant plusieurs mois sur une des terrasses du Centre Pompidou pour s’oxyder, recouvertes d’un grand lé de tissus qui en porte désormais l’empreinte. Sur ce damier est disposé un radiateur emprunté par Bock à un résident du quartier et mis en fonction grâce à un circuit hydraulique fermé. L’œuvre est également exposée à la dégradation des matériaux qui le constituent : ainsi, deux citrons attachés à une tige métallique modifient la flexion de cette dernière à mesure qu’ils se gâtent. L’aspect anthropomorphe ou zoomorphe des figures sculptées par Bock interroge une forme de « vivre ensemble.
Bernard Palissé le 5/11/2019
Xème édition du Prix Marcel Duchamp 2019, exposition au Centre Pompidou, Galerie 4 -> 6/01/2020.
Katinka Bock, Tumulte à Higienópolis, à Lafayette Anticipations -> 5/01/2020, Paris
9, rue du Plâtre 75004 Paris