R.A. Tinoko : à chaque corps, son histoire…
Si la beauté se tient dans l'œil de celui qui regarde, pourquoi sommes-nous gavés de ce que nous sommes supposés aimer ? Cette série démonte les clichés et remet en question les formes de beauté classiques pour se centrer sur la plasticité du corps humain.
Cette série parle d'image du corps, mais pas seulement. J'ai grandi en surpoids et j'ai connu les moqueries qui vont avec les noms d'oiseaux employés à cet effet… Ainsi, les images du corps en rapport avec le poids sont deux choses avec lesquelles je me suis toujours battu. Et quand j'ai pensé à un projet, pour ma maîtrise en photographie, j'en suis arrivé à questionner la beauté conventionnelle et ce qui rend quelque chose ou quelqu'un beau.
Si la beauté se tient dans l'œil de celui qui regarde, pourquoi sommes-nous gavés de ce que nous sommes supposés aimer ? Quand j’ai commencé à photographier ces femmes, j'ai commencé à y voir quelque chose de bien plus profond que la simple image de mode. Et j'admire ces modèles qui font ce que je n'ai jamais osé faire, accepter leur corps pleinement au point de les offrir à l'objectif photographique. L'acception de l'image de son corps est un challenge constant.
Le projet m'a fait prendre conscience du fait que le corps n'est que le réceptacle de l'âme qu'il renferme. Un véhicule qui nous permet d'accomplir notre voyage terrestre. Cela m'a amené à éviter de montrer les visages de mes modèles, car cela les aurait transformés en portraits de nu, quand mon idée était que le spectateur pouvait s'identifier avec chaque corps en présence et pas autre chose. Un portrait sans visage le permettant, l'autre option, pas du tout.
Au fil du projet, j'ai eu des remarques positives de mes modèles; l'une d'elle, au bord des larmes, m'affirmant même que c'était la première fois qu'on lui donnait l'occasion de se voir aussi belle - à tel point que ce fut thérapeutique pour elle. Quand une autre m'a affirmé que cela lui avait permis de se sentir plus forte.
Jusqu'à présent, j'avais choisi de ne photographier que des femmes, mais cela va évoluer puisque ma série reste en cours et peut prendre d'autres directions. J'ai choisi de réaliser mes tirages au platine-palladium; car je vois un changement subtil à l'œuvre avec ce procédé qui renforce l'intention et la signification des images — même si cela induit des heures de tirage en chambre. Ces portraits sont rares, comme quelque chose à chérir. Je crois avoir réussi à m'éloigner de la culture du tout à jeter et de la gratification immédiate qui sape notre appréhension de la culture actuelle et me rapprocher au plus près de mon sujet : nos corps.
Photos et texte de R.A. Tinoko
Né au Salvador et élevé aux USA à Miami, RA Tinoko a découvert très jeune sa passion pour la photographie et tout son processus; à tel point qu'il a fréquenté les chambres noires dès 10 ans. Trois fois diplômé en photographie au London College of Fashion, il y donne encore des cours, de temps en temps. Vivant dorénavant en Angleterre, il s'y consacre à des travaux personnels comme à un amour immodéré pour les tirages platine-palladium (qui donnent à ses tirages, un reflet argenté et des tons métalliques, à l'œuvre sur cette série.)
Raoul Nietzsche
A chaque corps, son histoire de R.A. Tinoko