“Freak Parade” : les monstres d’Hollywood ne sont pas ceux que l’on croit
Relecture ambitieuse et malicieuse de Freaks, le film culte de Tod Browning, cet album revisite le mythe en imaginant les coulisses de cette œuvre majeure du merveilleux moderne. Remise en ligne de cet article & de la rencontre en vidéo avec Joëlle Jolivet & Fabrice Colin pour parler des coulisses de Freak Parade.
Si vous n’avez jamais vu le film La Monstrueuse Parade (ou Freaks en V.O.) sorti en 1932, je vous le conseille vivement, mais avec une mise en garde, ce n’est pas pour tous les publics et vous devez vous attendre à un long-métrage étrange à la fois féérique & monstrueux, enchanteur & trivial, saisissant & terrifiant. Une histoire d’amour, de vengeance et d’acceptation de soi où les monstres ne sont pas toujours ceux qu’on imagine.
C’est le cas de Fabrice Colin & Joëlle Jolivet qui en imaginent les coulisses et les mystères entourant ce tournage qui a marqué Hollywood dans l’entre-deux guerre. En appuyant sur l’autre grande particularité de ce film : la mise en scène de personnes qui ne sont pas des acteurs. Même si beaucoup ont l’habitude de la scène, ces comédiens improvisés ont été recrutés pour leurs physiques ou leurs particularités. On y croisera aussi les éminences noires du showbiz portant dans leurs sillons affaires de mœurs, de drogues ou de corruption, l’industrie du cinéma reste loin du conte de fées des magazines. La bande dessinée exprime à merveille cette dualité d’un film atypique, de cette réunion de talents et de personnalités qui tourne au récit initiatique pour le spectateur/lecteur, que nous vivons à travers les yeux de son héros curieux Harry Monroe.
Un réalisateur a écumé les USA pour rassembler des “freaks” des personnes présentant des malformations physiques, des particularités qui les ont conduits à se produire dans des cirques ou d’être présentés comme monstres de foires. Avec ce casting jamais vu et jamais revu dans l’histoire du cinéma, le film n’a pas fait l’unanimité à sa sortie effrayant les spectateurs et signant la fin de la carrière de son mystérieux réalisateur. Pourtant cette fiction qui ne ressemble à aucune autre va être redécouverte et acquérir le statut d’œuvre culte, de jalon important dans l’histoire du cinéma et de référence créative pour bon nombre d’artistes.
Romancier prolifique et scénariste Fabrice Colin s’était déjà illustré en bande dessinée sur quelques “monstres” avec la Brigade chimérique ou sur les ombres de l’industrie du spectacle avec Nowhere Island ou Gordo.
Au dessin, Joëlle Jolivet, illustratrice qui signe son premier projet de BD après plusieurs dizaines de livres jeunesses dont le très prisé en librairies Costumes ou plus décalés comme Os court ! & 10 p’tits pingouins avec Jean-Luc Fromental. Son trait se fait plus acéré et charbonneux pour représenter cet univers, collant à cette noire féérie. Pour nous tenir au plus près des personnages et garder cette aura de malaise, elle a choisi un découpage très dense, avec un jeu de cases élevées qui fourmillent de détails et qui ne respirent que par la couleur. Des couleurs surannées en aplats qui révèlent ou masquent certains détails.
Un conte noir très maîtrisé, envoûtant et perturbant. Histoire dans l’histoire, relecture éclairante ou prolongement de la rêverie de 1932, cet album intrigant est une des très bonnes surprises de ce début d’année.
Thomas Mourier, le 8/05/2024
Fabrice Colin & Joëlle Jolivet - Freak Parade - Denoël Graphic
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