Matthieu Laurette, l’artiste à l’heure du spectacle généralisé
Le MAC VAL accueille une grande rétrospective de Matthieu Laurette, qui retrace les trois décennies de son parcours artistique. Artiste protéiforme, Matthieu Laurette utilise les médias de masse et l’industrie du divertissement comme lieu et outil de production décalant ainsi l’idée même d’atelier : le réel est son atelier. Attention, distance et dérive au rendez-vous.
Artiste protéiforme, Matthieu Laurette utilise les médias de masse et l’industrie du divertissement comme lieu et outil de production décalant ainsi l’idée même d’atelier : le réel est son atelier. Véritablement multimédia, ses œuvres balaient un vaste spectre de mises en formes : de l’intervention télévisée à l’installation en passant par les récents développements sur Instagram, il développe de nombreuses stratégies d’infiltrations alliant art conceptuel, culture populaire, critique institutionnelle, réflexions économiques et problématiques sociétales. Dans l’ensemble, les œuvres de Matthieu Laurette utilisent des mécanismes existants (marketing, médias de masse, industries culturelles…) pour créer ses propres œuvres. Elles interrogent, entre autres, la notion même de valeur. Elles mettent en question le rôle et la place de l’art et de l’artiste à l’heure du spectacle généralisé et mondialisé.
Cette exposition est l’occasion de rejouer des conversations qui ont eu lieu lors d’expositions collectives passées, de reconstituer des morceaux d’expositions auxquelles il a participé. Entrer en dialogue avec le travail de Matthieu Laurette, témoigne d’affiliations revendiquées et spécule sur des affinités non-conscientes. Cette rétrospective est envisagée comme une exposition-palimpseste.
Après des études dans les écoles d’art de Rennes puis de Grenoble, il entame sa carrière artistique dans les années 1990 en utilisant l’espace médiatique comme matière. Il débute sa carrière officiellement en 1993 lorsqu’il passe, en tant que candidat et « artiste multi-media », dans la mythique émission de « dating », Tournez Manège. S’en suivent de nombreuses autres Apparitions (1993 — en cours), allant de La Grande Famille sur Canal + à Silence ça pousse sur France 5, offrant une nouvelle résonnance au mantra Warholien du quart d’heure de célébrité. Apparitions donne naissance à son projet pour lequel Harald Szeemann l’invite à la Biennale de Venise en 2001 : Les produits remboursés. Il passe plusieurs années à prendre au pied de la lettre l’injonction marketing des produits d’appel « satisfaits ou remboursés » ou « premier achat remboursé », se nourrissant uniquement de ce type de produits. Il est invité à parler de sa stratégie de contournement à la télévision et réalise un site internet expliquant comment se faire rembourser ses achats au tout début des années 2000. Il consulte une voyante pour connaître le devenir de sa carrière artistique, il installe une webcam dans son atelier et diffuse le film dans les lieux où il expose, il invite des sosies pour des vernissages, faisant se rencontrer Salvador Dali et la reine d’Angleterre.
Il utilise le budget de production d’une de ses expositions pour acheter une voiture et organise un grand troc public, Il transforme un centre d’art en multiplexe et diffuse uniquement des biopics d’artistes, il écrit systématiquement « je suis un artiste » sur les courriers à en-tête des hôtels où il séjourne pour raison professionnelle. En 2010, Matthieu Laurette met en place une série de contrats intitulée Demand and Supplies où il propose à des collectionneurs de prendre en charge ses factures (le loyer, sa facture de téléphone…). Avec THINGS (Acheté avec des fonds fournis par), il propose, toujours à des collectionneurs, d’acquérir des objets pour son usage personnel à l’atelier.
Chacune de ces occurrences dessine une facette d’une sphère immense qui tenterait de définir ce qu’« être un artiste » veut dire aujourd’hui. Cette exposition-palimpseste reconstitue, à la manière d’une period-room, un morceau d’exposition passée in situ où le principe rétrospectif serait joué réellement, dans toute sa dimension et où fusionnerait passé et présent.
Et cela ouvre sur un questionnement qui se pose ne ces termes ( et c’est bienvenu) :
Chacune de ces occurrences dessine une facette d’une sphère immense qui tenterait de définir ce qu’est « être un artiste » aujourd’hui. Quand expose-t-on ? Quand a-t-on une galerie ? Quand vit-on de son « art » ? Quand est-on inscrit à l’Adagp ou à la Maison des Artistes ? Quand a-t-on un/des collectionneur(s) ? Quand vend-on ? Quand est-on (re)connu ? Quand produit-on des objets ? Quand passe-t-on à la TV ? Se voue-t-on à l’expression du beau ? Y a-t-il des vrais et des faux artistes ? Le nombres de Followers sur Instagram compte-t-il ? Un artiste est-il celui qui crée des percepts ? Ne peut-on être un artiste qu’un temps ? Un artiste est-il un artisan comme les autres ? Est-il un indépendant ? Un sémionaute ? Un intermittent ? Un original ? Le savoir-faire est-il un critère ? Le savoir-penser ? Qui décide d’ailleurs ? La force de l’artiste réside-t-elle dans son incapacité/impossibilité à se définir ?
Jean-Pierre Simard, le 8/01/2024
Matthieu Laurette - Une rétrospective dérivée (1993-2023) -> 3/03/2024
MAC VAL - Place de la Libération 94400 Vitry-sur-Seine