Le Memento Mori de Ron Mueck à la Fondation Cartier… impressionne
C’est non loin de l’entrée des Catacombes, à la Fondation Cartier même, que Ron Mueck déploie ses cent crânes et quelques autres œuvres… On se souvient de la demi-vache de Damian Hirst ou des modelages à la Mickey de Jeff Koons, mais l’hyper-réalisme de l’Australien qui œuvre à échelle variable balaye la concurrence d’un simple coup d’œil.
Né en 1958 à Melbourne de parents allemands, Ron Mueck débute sa carrière en modélisant des marionnettes pour la télévision, puis en créant des mannequins pour des compagnies de publicité photo. C’est en 1996 qu’il se tourne vers l’art plastique, lorsque sa belle-mère, la plasticienne portugaise renommée Paula Reggo, lui demande de créer de petits personnages pour l’une de ses toiles. Impressionnée par le travail de Mueck, elle le présente au collectionneur Charles Saatchi. La carrière de Ron Mueck est dès lors lancée.
Avec un pied dans le monde réel, et l’autre dans l’univers personnel de l’artiste, les sculptures de Mueck présentent, par leur exactitude biologique, figée dans le silicone et la peinture à l’huile, un certain intérêt pour la morbidité. Les proportions exagérées de certains corps obèses, infantiles et vieillissants créent une sensation de déstabilisation chez le spectateur, qui voit sa perception du monde altérée, d’une part par la taille étrange (trop grande ou trop petite) des sculptures, et d’autre part par leur réalisme déconcertant. Il ne reste plus à ces œuvres qu’à acquérir la parole et le mouvement pour être vraies.
L’intérêt pour l’hyperréalisme de Ron Mueck n’est pas que clinique : en ne laissant pratiquement aucune trace de son travail sur les sculptures, l’artiste offre au spectateur une chance inouïe de s’immerger dans l’univers des personnages, qui parlent seuls, très souvent de solitude, de vulnérabilité, d’aliénation. Des pièces comme In Bed (2005), où une femme trois fois plus grande que la normale est couchée dans son lit, pensive, la tête délicatement posé dans une main, ou Spooning Couple (2005), miniature d’un homme enlaçant une femme, tous deux à moitié nus, les yeux ouverts regardant au loin, poussent le spectateur à l’introspection. Les thèmes récurrents de la naissance, de la mort et du vieillissement sont un voyage qu’offre l’artiste à travers les diverses étapes-clé de la vie.
Mass de 2017, présentée pour la première fois en dehors d’Australie marque un tournant dans la carrière de Ron Mueck, l'expression de son ouverture à de nouvelles manières de sculpter. Depuis la création de celle-ci, l'artiste s’éloigne de sa pratique antérieure qui s’attachait à reproduire sur ses sculptures le grain de la peau, l’implantation des cheveux, les détails des vêtements, agençant les matériaux pour obtenir un effet de réel saisissant. En se focalisant désormais sur la forme, la composition et le mouvement, Ron Mueck souhaite amener le visiteur au plus près de ses intentions et de l'essence de son travail.
Ce nouveau procédé lui permet également de raconter de nouvelles histoires, de traiter des sujets différents, tels que des personnages en groupes et même en action. En les libérant d’une abondance de détails réalistes, Ron Mueck traduit d’une manière plus directe la dynamique qui les anime.
Six œuvres récentes et trois sculptures réalisées spécialement pour l’exposition sont présentes. Il est rare de pouvoir observer de près les œuvres de cet artiste dans une exposition car il met beaucoup de temps et de minutie à réaliser une œuvre. Le temps est un élément privilégié de sa création. Il réalise des sculptures d’humain réalistes à l’excès, il soigne le détail, que ce soit le cheveux, le pigment de la peau, les rides, tout paraît réel. Dans ses œuvres, il travaille également la déchéance de ses corps obèses et vieillissants. Il choisit de représenter des figures humaines qui nous mettent mal à l’aise avec une ambiance particulière. C’est troublant, émouvant et dérangeant car cela sort du commun. La partie memento mori avec ses cent crânes interpelle en premier pour nous rappeler que de là venons, là nous finirons, mais à cette échelle et avec cette disposition le spectateur découvre l’infiniment petit de son être. Et ça bouscule vraiment. A Girl dans l’autre salle du rez-de-chaussée interroge autrement sur l’origine de la vie et son apparition même, en offrant tout le lisse de la statue, sans jamais ne laisser voir le travail. Plus que troublant, c’est vertigineux. Au sous-sol , on découvre En Garde, avec trois molosses réalisées à l’imprimante 3D pour manifester la peur dnas ce qu’elle a de plus organique et primal.
Baby, affiche vingt-cinq centimètres. Son corps minuscule est impressionnant de réalisme. L’artiste a porté le plus grand soin à chaque détail. Le regard de l’enfant fixe le spectateur. La sculpture est inspirée d’une image que Ron Mueck a trouvée dans un ouvrage de médecine, qui montre un bébé tenu en l’air par les pieds quelques minutes après l’accouchement. L’inversion de la représentation en fait une sorte de Crucifix. Et enfin avec, Man in a Boat les dimensions psychique et psychologique se manifestent. Dans une ambiance crépusculaire, l’artiste met en scène une image de la solitude et de la mélancolie. Minuscule au regard de la barque en taille réelle, l’homme nu assis, les bras croisés, tend le cou pour regarder quelque chose dont on ne saura rien. Et c’est justement dnas ce rien dépploué que chacun peut s’installer, se sentir concerné ou absent. L’œuvre est bien là, dérangeante, troublante, impressionnante à nous parler de nous avec son propre langage et ses dimensions bien à elle. Pas d’identification possible, mais une distance voulue et un rapport en creux qui en fait sa singularité.
Jean-Pierre Simard le 26/06/2023
Ron Mueck -) 5/11/2023
Fondation Cartier pour l’art contemporain - 261, boulevard Raspail 75014 Paris