Quand Benjamin Hochart se Pulp.e au Drawing Lab
Pulp·e qui se situe entre la bd cheap et la matière transformée des éléments est une exposition qui explore la réappropriation de l’image dans sa construction, son écriture, et même sa transposition du dessin à l’espace, en invitant les corps à déambuler dans diverses narrations liées au costume, au décor, à l’image en mouvement, comme au trucage. A l’heure des discours univoques de la politique et des médias assujettis à la bête immonde, une respiration…
Agir avec transparence est le moto des expositions du Drawing Lab, à associer ici une commissaire d’expo comme Fabienne Bidaud pour ses liens entre l’art contemporain, le théâtre et la danse, dans l’usage de l’artifice, du corps, de l’espace ; analysant la construction de la narration par le prisme d’études décoloniales, de genre et féministes et aider l’artiste à formuler précisément son propos. Pensée comme un ensemble narratif, Pulp·e propose plusieurs espaces, salles, écritures, que le·la visiteur·euse traverse et active par sa présence. Chaque proposition nait des formes et des idées de l’écriture dessinée de Benjamin Hochart. Il les assemble et nous propose des montages ou collages qui nous situent entre la ligne, le trait et l’image – ici recomposées, assemblées, animées, filmées. Il s’inspire d’éléments issus de notre quotidien, d’images trouvées dans des magazines ou encore de formes « anthropomorphiques » accidentelles volées telles des pièces de monnaie déposées sur le coin d’une table (série Président.es, 2017-2023). Il questionne ici les systèmes de représentation, allant du monstrueux au décoratif et produit une œuvre protéiforme à la fois poétique et politique. Cette volonté de non-hiérarchie se retrouve dans la manipulation et l’association libre d’images entières ou de fragments, quasi systématique dans la production de son travail.
Pulp·e se compose de plusieurs états de formes potentiellement interchangeables et poreuses entre l’écriture dessinée, l’image, les pièces textiles et les films. Le costume arlequin d’un géant imaginé par l’artiste s’inspire directement de la tradition populaire du carnaval et de l’idée géniale de David Byrne pour Stop Making Sense . Il y rejoue le vestiaire des marionnettes géantes en créant dans une taille surdimensionnée une veste, un pantalon et une cravate. Son intérêt pour la forme se joint aux intentions politiques de cet événement. Le carnaval était cet espace commun où l’inversion des catégories sociales se jouaient le temps des festivités. Aujourd’hui, il s’inscrit toujours dans l’espace public mais dans une dimension plus folklorique. Pour l’exposition, ce costume de géant devient une figure fictionnelle qui occupera l’espace central tel·le un·e acteur·ice en tête d’affiche ou d’un décor endossant le rôle principal.
Ce costume est par ailleurs l’élément principal des films Pulp·e, nouveau champ d’expérimentation spécifiquement mené pour l’exposition par Benjamin Hochart. Il est cette surface où les intentions l’habitent telle une tente, une psychologisation de l’espace fabriquée par l’artiste. Chaque film est « Une conclusion », sans développement de contenu spécifique, proposant des disjonctions et s’inspirant des films de suspens, de sciences-fictions et d’horreur. Ils relèvent tous d’une dimension magique, d’illusion, du spectacle, du carnaval et revendiquent le genre cinématographique populaire et spectaculaire. Le trucage, le prestige, la surprise d’un effet spécial dont la construction reste visible ou se devine, le faire soi-même, est la façon dont Benjamin Hochart conçoit ses films mais aussi son travail. L’usage de la main pour produire ou faire, le réemploi, la forme jaillissant de la rencontre ou de l’accident, sont ses modes opératoires. Chaque œuvre expose une double capacité : d’exister pour elle-même et pouvant potentiellement être mise en relation. Car les images ne sont pas seulement interconnectées aujourd’hui, via le Net, elles interagissent en rebondissant d’une parution à l’autre, en changeant de nature avec chaque légende ou usage imposé…
Le projet Pulp·e a tiré son nom de la trame du papier utilisé dans les Pulp magazine, la pulpe (the pulp), désignant une qualité de papier médiocre qui par son bas coût a permis d’imprimer une grande quantité d’exemplaires, et donc une diffusion massive. Le titre du projet puise ses origines dans ce support de papier imprimé présentant nombre de dessins et de vignettes déroulant des histoires de et à l’imagerie populaire. A la fois mise en abyme et mise en jeu.
L’exposition Pulp·e sort de la vignette et se déploie dans des espaces à la fois physiques et de l’image, croisant les genres, questionnant les hiérarchies, l’autorité, où la dimension anthropomorphique est omniprésente. Il soulève en creux la question de qui parle et qui écoute, qui a le pouvoir et qui ne l’a pas, pour s’engouffrer dans une question plus large de la place et l’action dans l’espace public et celui de l’image. A l’heure où même Elisabeth Bor(g)ne se pose la question de l’utilité de La Ligue des Droits de l’Homme en surenchérissant sur le priapique de Tourcoing, cela semble aller de soi. On plussoie !
Jean-Pierre Simard le 17/04/2023
Benjamin Hochart - Pulp.e -) 06/09/2023
Drawing Lab - 17, rue de Richelieu 75001 Paris