L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Lettré, Gascon et … fier de l'être : ode aux marginaux sur place

Davantage qu’une curiosité, le témoignage d’une passion pour la langue et la terre gasconnes, d’une douceur subversive.

Lou boun Diu nes ouayti
Dou coudic de le balene,
Dou cantit de le serene,
De le tou de Cordouan
É dou clouché de Mamisan
(É dous tres pins de Coûntis)

Que le bon Dieu nous garde de la queue de la baleine, du chant de la sirène, de la tour de Cordouan et du clocher de Mimizan (et des trois pins de Contis).

Il faut un peu de folie, salutaire et étonnante, pour concevoir pareil ouvrage, publié en 2021 aux éminemment et joliment artisanales éditions Matreselva, ouvrage qui ne se propose rien moins que d’amorcer le recensement et la célébration, en textes et en dessins, des animaux « oubliés » de la parémiologie (la science ethnographique des proverbes, maximes et autres dictons) de la langue gasconne. Il fallait aussi, pour qu’il se retrouve ici, un de ces concours de circonstances improbables qui font parfois le sel de l’activité de librairie, lorsque les deux passionnés responsables de cette publication, Frédéric Dinguirard et Manuella Katz, attirés par une journée à Ground Control consacrée à la gastronomie de Gascogne (sous la houlette d’Hélène Darroze, de Thierry Marx ou d’Ariane Daguin, par exemple), tombèrent sur un libraire de Charybde venu régaler les curieuses et les curieux d’ouvrages de cuisine ad hoc et de littérature goûteuse. Les hasards heureux, comme les peuples, n’ont pas toujours d’histoire extraordinaire.

Panquèra, bèra, bèra,
Qu’as pan ena taulera,
Hormatge ena ‘scudera,
E lèit ena caudera.

Belette, belle, belle
tu as du pain sur la table
du fromage dans l’écuelle
et du lait dans le chaudron.

Grâce aux témoins fugitifs dans la langue que sont ici la baleine (et la sirène), la belette, l’engoulevent, la fouine, la grenouille, l’hirondelle, l’isard, l’ours, le papillon, le pivert, la salamandre, le tote-camin (ou cohcevis) et le ver-luisant, on se souviendra ainsi à nouveau de la haute spécificité de cette terre chantée avec tant de poésie et de brio par un Jérôme Lafargue (citons seulement, parmi ses oeuvres les plus récentes, « En territoire Auriaba » ou « Le temps est à l’orage ») ou par un Yan Lespoux (« Presqu’îles »), par exemple. Et comme le rappellent les auteurs dans leur introduction, il est de sourdes rébellions et de vastes implications dans la nature d’avant l’industrie qui se passent de discours, et savent se nicher au détour imprévu d’une saillie rimée ou d’un retour poétique à l’essence animale – rare, le cas échéant.

Le « triangle » des Landes de Gascogne était une plaine marécageuse avec des « îles » boisées de chênes (tauzin et pédonculé à l’origine), et des systèmes dunaires avançant loin à l’intérieur avec les « pinadas » de pin maritime. Un million trois cent mille hectares, historiquement d’abord déboisés par l’activité humaine pour devenir la Lande ethnographiée par Félix Arnaudin puis Lotte Lucas-Beyer. La Lande est alors marquée par les problèmes sanitaires (malaria), caricaturée en « désert » ou « territoire à coloniser » par les voyageurs comme par le pouvoir central parisien et caractérisée par des dialectes gascons – dont le « parler noir » difficile à comprendre et raillé par les locuteurs des dialectes voisins. La Lande, ses bergers sur échasses et ses habitants ont mauvaise réputation.

La vie dans les Landes s’organise autour d’une activité agro-pastorale de subsistance, où les animaux d’élevage servent surtout à fumer les champs. Les terrains communaux jouent un rôle premier pour le pacage des troupeaux. Par la loi de 1857, Napoléon III impose un ensemencement forestier accéléré de 636 000 hectares en 12 ans. Les communs sont vendus pour financer ce changement d’affectation des terres à la charge des communes.

De nombreux bergers deviennent résiniers – du moins jusqu’à l’effondrement des cours de la résine sous l’effet de la concurrence italienne et chinoise, puis du recours à des alternatives chimiques. Les propriétaires forestiers, presque exclusivement privés, bénéficient depuis lors d’un soutien indéfectible sur fonds publics à chaque incendie (ordonnance du 28 avril 1945) ou tempête (plans chablis) et sont incités à gérer durablement leurs forêts, prévenir les incendies et entretenir les fossés de drainage. La forêt des Landes constitue aujourd’hui l’une des plus vastes forêts artificielles d’Europe, en quasi-monoculture du pin maritime « amélioré » par sélection massale.

Hugues Charybde le 27/03/2023
Frédéric Dinguirard et Manuela Katz - Aux marginaux de la parémiologie gasconne - éditions Matreselva

l’acheter ici