Cracher sur Hegel (et revendiquer un nouveau féminisme)

Nous crachons sur Hegel est le livre le plus connu de Carla Lonzi, figure emblématique du féminisme radical italien, ici traduit intégralement pour la première fois. Longtemps introuvable, même en Italie, et très recherché, il est enfin disponible en français, tel qu’il a été conçu par son autrice.

À mi-chemin entre l’essai et le pamphlet, ce livre rassemble six textes écrits entre 1970 et 1972 qui exposent et concentrent toute la pensée de Carla Lonzi : une forme d’existence à distance du monde masculin, produisant une vision nouvelle de soi, des autres et du monde. Ce qui passe tout d’abord par le fait de penser, exister, et désirer indépendamment de la validation patriarcale. Et donc, plus radicalement, par la désertion des institutions, des valeurs, de l'art, de la « culture » et de la politique telles qu’elles sont. Le titre résume de la manière la plus irrévérencieuse la critique féministe du 'projet révolutionnaire marxiste' - dont la pensée de Hegel est à l'origine.

Repère décisif de l’histoire du féminisme, cette pensée « à coups de marteau », à la fois en décalage avec les revendications féministes de son époque et en résonance anticipée avec les débats d’aujourd’hui, apporte des éclairages d’une étonnante fraîcheur sur des thématiques aussi diverses que le corps, les enjeux socio-politiques du désir, du sexe et de l’amour, le patriarcat en tant qu’instrument capitaliste et culturel de domination.

Avant le féminisme, je me prouvais mon existence grâce à des poésies qui me confirmaient que j’avais su libérer une pensée du chaos des conflits psychiques, et j’expérimentais pour la première fois le calme mental, une espèce d’imperturbabilité jaillissant de ce détachement de moi, ressenti par la conscience. Dans les poésies, dont le titre d’ensemble était Scacco Ragionato (Échec raisonné), j’ai renoncé à toute forme d’invocation pour une moi-même différente, j’ai abandonné tout possibilisme : j’ai ouvert tout grand l’imprévu en moi, en m’acceptant telle que je suis. J’étais un être perdu, avec la sensation de me trouver exactement là où j’aurais voulu éviter d’être.
Carla Lonzi / Journal d’une féministe

Carla Lonzi, auto-portrait

Née en 1931 à Florence, Carla Lonzi (1931-1982) a été d’abord critique d'art, proche de l’historien de l’art Roberto Longhi. En 1968, à l’occasion d’un séjour aux États-Unis, elle découvre la pratique des groupes de parole non-mixtes, qui inspireront la pratique de l’« autoconscience », et reconnaît leur immense portée politique. À son retour en Italie, à l’âge de 37 ans, elle rencontre le féminisme, abandonne une carrière prometteuse dans le monde de l’art et fonde avec d’autres femmes le groupe Rivolta Femminile, qui sera très influent dans l’histoire du féminisme italien, ainsi que la maison d’édition Scritti di Rivolta Femminile. Elle meurt à Rome en 1982. 

Le féminisme a permis à la femme de quitter le Purgatoire avec l’homme pour l’Enfer entres femmes. Un Enfer qui a remplacé le Paradis originel – avec la mère. La libération c’est la mort et la résurrection, il faut accepter de mourir, moi je l’ai accepté, la conscience des souffrances mutuelles me fait sentir au pair. Qu’est ce que cette fidélité à sa destinée d’opprimée ? Comment s’en sortir ?
Carla Lonzi, extrait de Crachons sur Hegel

Son œuvre a été traduite en plusieurs langues. En français, Autoportrait (1969), issu de la première phase de la vie de l’autrice, liée au monde de l’art, a été publié par JRP/Ringier en 2013. Une biographie de Carla Lonzi intitulée Carla Lonzi : un art de la vie. Critique d’art et féminisme en Italie, écrite par Carla Zapperi, a été publiée aux Presses du réel en 2018.

Il existe plusieurs autres versions du livre en français, mais celle-ci est la plus proche de celle voulue par son autrice, et in extenso… 

Jean-Pierre Simard le 23/01/2023
Carla Lonzi - Nous crachons sur Hegel - éditions Nous 2023

Carla Lonzi. La Galleria Nazionale