« Je découvre aussi mon histoire au fil des pages » Interview de Stanislas Moussé
Sa trilogie Longue Vie, Le Fils du Roi, Mater avait révélé le talent de conteur de ce dessinateur adepte de la miniature et du détail. De grands récits tout en noir & blanc, sans textes, qui racontent des empires naissants, des dynasties qui s’effondrent ou des enfants qui s’émancipent. Rencontre avec Stanislas Moussé pour son nouveau projet : Pleine lune.
Une interview, 4 ans après la 1re réalisée en live lors de la sortie de son premier album chez Le Tripode, Longue Vie. L’occasion de discuter de l’arrivée de la couleur sur les couv’ de certains de ses livres, et surtout de ce nouveau one-shot entre le conte, l’aventure et l’horreur.
Pleine lune installe son ambiance du côté des forêts de l’est de l’Europe à une époque lointaine où brigands, sorcières et chevaliers s’affrontent. Où il sera question de sauvetage, de massacres, d’abordages, de magie, de trésors, de vengeance ou de destins… dans un temps où une seule nuit peut changer bien des choses.
Mais découvrons l’album avec son auteur.
En 2020, on avait fait une interview ensemble où tu disais que tu n’envisageais pas la couleur pour ce projet, et là nouveauté en 2023 : on a des couv’ couleur !
Stanislas Moussé : C’est le Tripode qui me l’a proposé, histoire d’essayer autre chose. J’ai décidé de faire un dessin en couleur, une couverture, et j’ai trouvé ça cool.
En faire une de temps en temps oui. Après de là, à faire un jour une BD en couleur, je n’en suis pas encore là !
Est-ce que l’expérience de la couleur t’a amené à gérer le dessin différemment ? Avec cette palette hyper vive notamment ?
Stanislas Moussé : J’aime bien le côté flashy de la couleur !
Et non, vu que c’est qu’une image ; j’ai réfléchi comme d’habitude, même si j’ai moins joué sur les contrastes entre les noirs & les blancs. Mais là sur un dessin je n’ai pas changé ma façon de dessiner, je n’ai pas trop de questions à me poser.
Avec Pleine lune, tu pars sur une nouvelle piste après une première trilogie, l’album est muet, mais en 4e tu indiques que les personnages sont les Haïdoucs, ton livre est une adaptation de ce conte roumain par Panaït Istrati ?
Stanislas Moussé : J’avais beaucoup aimé ces histoires de Haïdoucs, ces brigands d’Europe de l’Est et je voulais situer mon histoire dans un environnement plus précis.
Mais après ce n’est pas du tout une adaptation de quoi que ce soit, c’est juste l’idée de « Robin des bois » avec ces brigands.
Je te demande ça aussi, parce qu’on a un récit qui à l’air enchâssé dans une autre histoire, comme si on avait un conte raconté par le personnage à la pipe, qui pourrait ouvrir sur d’autres à la fin ?
Stanislas Moussé : C’est un one-shot mais oui : je voulais ce personnage du conteur, qui apparaît au début, au milieu et à la fin du bouquin, et qui encadre toute l’histoire.
Tu travailles à partir d’un story-board ou un scénario ?
Stanislas Moussé : Je prends pas mal de notes avant pour le fil conducteur de mon histoire et je travaille mes personnages…
C’est là que certains personnages apparaissent. Comme le personnage de la prostituée je ne l’avais pas au début, c’est quand je l’ai dessinée que je me suis dit que j’allais la garder.
Et après je laisse une grande part à l’improvisation. Je découvre aussi mon histoire au fil des pages. J’ai une partie de la fin, je vois à peu près où je vais aller, mais je pars souvent dans les chemins de traverse.
Là je voulais que ça se passe pendant une nuit, que l’histoire soit réglée avant la fin de la nuit. Mais après comment ça allait être réglé ? Qui allait survivre ?… Ça, je ne savais pas encore. J’ai plusieurs variantes sur la fin.
Je termine la BD et je leur envoie [au Tripode, Charlotte Bréhat est son éditrice sur ce dernier volume ; Frédéric Martin pour les premiers] pour qu’ils me disent s’il y a des choses à retoucher. Et là on a retravaillé un peu la fin, deux-trois cases dans la BD mais c’est à peu près tout.
Pour la fin on a fait des variantes pour finalement revenir sur la fin du départ ! On a hésité, on voulait partir sur une fin plus explicite. Mais on est resté sur une fin assez ouverte, c’est à chacun de voir comment ça pourrait se terminer.
On est dans un album plus noir voir horifique. Avec plus de violence, de cauchemars, et même graphiquement tu représentes des organes sexuels, ce que tu ne faisais pas avant ?
Stanislas Moussé : Je voulais sortir de ma zone de confort et creuser les pistes qui me travaillent : ce côté horrifique, ce côté très graphique des organes sexuels…
J’avais des références au niveau cinéma, avec des films qui m’avaient pas mal marqué, comme The Witch ou encore des peurs enfantines : la sorcière, la forêt, la nuit… Tout le côté cauchemars d’enfants.
Ce sont des pistes que je vais continuer à travailler.
Peut-être plus d’humour aussi à travers le personnage principal et ses frasques avec des petites saynètes visuelles ?
Stanislas Moussé : C’est peut-être pas conscient, mais les deux personnages principaux ont un côté Astérix & Obélix dégénéré. C’est aussi dû aux lectures que je fais avec mon fils aîné depuis quelque temps, j’avais envie de travailler sur le côté gag.
Je vais travailler un peu plus sur les planches avec des gags, des gags sans texte.
Graphiquement, j’ai l’impression que tu laisses plus de place aux pleines pages et que tes miniatures se font plus rares au profit d’un découpage plus classique non ?
Stanislas Moussé : Je voulais travailler sur un jeu du chat et de la souris, comme dans les vieux cartoons : avec mes personnages, qui se font courser pendant toute la BD par les chefs d’une armée.
Et jouer sur le côté dessin animé et BD à l’ancienne, avec des strips où il y a du rythme tout le temps, pas de pauses, et ça court.
Tu as cherché le design des créatures, tu as fait des recherches avant de te lancer sur les planches ?
Stanislas Moussé : Pour la sorcière, je pensais à tout ce qui était monstres d’Asie. Et après je travaille sur les textures. Mais je les travaille tous avant, je ne pars pas direct sans les personnages.
Tu travailles toujours avec les mêmes outils ?
Stanislas Moussé : Crayon à papier et après rotring, je travaille directement sur la feuille, il n’y a pas de claques. Et les planches sont à la taille, les originaux sont du A5.
Je travaille dans l’ordre, de la 1re à la dernière, comme le récit.
Et pour la suite, tu as d’autres projets ?
Stanislas Moussé : L’idée est de repartir sur un one-shot, mais je ne sais pas encore la forme qu’il prendra. Je prends des notes, j’ai différents scénarios, mais je sens que je vais les rassembler en un seul pour faire un truc un peu plus conséquent en termes de volumes et de pages.
Je ne sais pas encore, mais j’ai déjà commencé à dessiner, depuis que je suis rentré d’alpage. J’ai envie de travailler plus sur le temps long, du coup ça prendra peut-être plus qu’un hiver.
Pour expliquer cette saisonnalité, tu travailles avec des troupeaux en alpages, du coup tu travailles que l’hiver et tu fais un album par hiver ?
Stanislas Moussé : J’essaie de faire un album par hiver. Pendant 9 mois je suis à fond, en mode journée de bureau et avec les gamins à gérer après. Mais il faut peut-être prendre plus de temps pour que ce soit plus abouti. Je vais me laisser plus de temps.
Allez découvrir ce petit conte noir qu’est Pleine lune. Et ses autres albums si ce n’est pas déjà fait ! Et je vous remets en dessous, la vidéo de 2020 où on parlait de Longue vie avec les questions des auditeurices.
Thomas Mourier, le 11/12/2023
Pleine lune - Stanislas Moussé - Le Tripode
-> Les liens renvoient sur le site Bubble où vous pouvez vous procurer les ouvrages évoqués.