« Le fait que les persos soient tout mignons, ça peut choquer encore plus » Interview de Petit rapace

À 23 ans, il débarque dans les pages des Doggybags puis Lowreader avant de proposer cette année un premier album qu’il porte depuis longtemps : Slum Kids. Un univers trash où des gangs de gamins font la loi dans la décharge et doivent leur survie à l’entraide et la débrouillardise.

© Petit rapace / Rue de Sèvres / Label 619

Avec un style graphique qui emprunte au manga et au cartoon, ce premier volume de Slum Kids nous emmène assez loin, avec « des choses que je n’aurais pas pu montrer si ça avait été en style semi-réaliste » nous explique Petit rapace pour des scènes assez marquantes qui donnent un autre tour à l’album dès le milieu de l’histoire. 

Une très belle découverte, qui peut se lire comme un one-shot, mais qui sera suivit d’autres albums dans le même univers. Je vous propose d’en savoir plus sur ce livre & son auteur avec cet entretien. 

Est-ce que tu peux nous raconter la genèse de cette histoire qui cache pas mal de choses derrière sa couverture faussement mignonne ? 

Petit rapace : Je voulais créer un contraste entre l’imagerie de l’album, le chara-design des persos, les couleurs et ce que je raconte. J’aime bien cette idée-là, qu’il y avait déjà dans The Grocery : des persos tout mignons à qui il arrive des trucs hyper trashs et violents. Dans mes références, il y avait aussi Dororo de Tezuka où pareil, il raconte des trucs assez durs avec son graphisme…

D’un côté ça permet d’en montrer plus : il y a des choses que je n’aurais pas pu montrer si ça avait été en style semi-réaliste. Et en même temps le fait que les persos soient tout mignons, ça peut choquer encore plus.

Et pour la genèse, je bosse dessus depuis 6 ans. Quand j’étais en école d’art —j’ai fait une école de dessin animés— on avait un court-métrage à faire en solo, la dernière année. Et c’était déjà Slum Kids. Ça a bien évolué depuis —c’était vraiment de la merde le court-métrage que j’avais fait— et le contexte de la décharge est venu après même si j’avais déjà les persos avant. Ils ont changé visuellement, mais Eingyi par exemple, c’était déjà un petit teigneux, ils avaient déjà ce caractère-là.

Tu as parlé de Tezuka, mais on sent aussi une vibe Taiyō Matsumoto, qu’elles sont tes influences ? 

Petit rapace : En film, c’est vraiment la Cité de Dieu et en bouquin Sa Majeste des mouches de William Golding que j’avais trouvé trop bien. Mais ouais, sinon c’est Amer Béton et Akira pour les références.

J’ai que 25 ans et je n’ai vraiment pas grandi avec le franco-belge en dehors du Label. J’étais lecteur du Label 619 à fond et sinon mes références sont exclusivement des références au manga. Et du vieux manga, mes dessinateurs préférés sont Osamu Tezuka et Akira Toriyama.

Je te demandais ça, parce que j’ai l’impression qu’il y a aussi un côté « vieux Disney » que tu aurais perverti…

Petit rapace : Grave. Les vieilles BD de Mickey, le Picsou de Don Rosa et même les vieux courts-métrages, ceux avec Oswald le lapin, j’adore. En dédicace, les gens me parlent tout le temps de Cuphead parce que ça ressemble un peu à tout cet univers de cartoon années 50. Peut-être aussi que c’est dû à ma formation de dessin animé à la base, ce que je fais est hyper cartoon. 

Petit rapace ©DR

Tu travailles le scénario d’un bloc, tu travailles par séquences ? 

Petit rapace : Quand j’écris, j’ai l’impression que ce que je raconte ce n’est pas intéressant parce que j’ai vraiment des images en tête. Pour le T1, j’ai fait le story-board direct, mais pour le T2, j’essaie de plus structurer mon récit en prenant en compte les critiques qu’on m’a faites pour le T1 —par exemple, le fait que ça se lise trop vite ou que ce soit trop full action— j’essaye de développer un peu plus l’univers et de prendre plus mon temps. Et pour mieux structurer j’ai pris le temps d’écrire mon histoire de A à Z, du coup là je suis encore sur le story-board et j’ai grave du retard ! 

Parce que tu as déjà une date de rendu pour la suite ? Tu vas en faire plus que 2 tomes ?

Petit rapace : Non, je me la fixe moi-même par rapport où j’aurais aimé en être. Quand le T1 est sorti, ça faisait déjà 2 mois que j’avais signé le T2 et commencé à travailler dessus. Mais là, j’ai du retard.

Pour la suite, je ne sais pas, j’ai des idées pour 3 tomes, mais le T3 dépendra du succès du T1 et du T2 quand il sortira. 

Tu as des personnages enfants qui tiennent l’histoire, mais tu as aussi des adultes, est-ce que c’était difficile de mettre en scène le trash entre les deux ? 

Petit rapace : J’ai écrit comme je parle. Je ne me suis pas privé, même dans la vulgarité. C’est aussi une autre influence, un peu street : j’écoute du rap et je voulais que dans la BD, il y ait un côté un peu « cité », que les persos parlent mal. Et les adultes parlent aussi mal que les petits.

Dans la suite, il y a des persos qui se détachent un peu plus des bas-fonds de la décharge, du coup je galère un peu plus sur l’écriture. 

© Petit rapace / Rue de Sèvres / Label 619

Tu parles d’univers un peu street, est-ce que tu graff de ton côté en plus de la BD ? 

Petit rapace : J’ai des potes qui font ça à fond. Moi non. Dans l’album les graffs ont été faits par un pote, Nino Leskargo. C’est un univers que je connais pas mal, mais moi c’est plus le skate que le graff. 

Et au niveau technique, tu bosses avec quels outils ? 

Petit rapace : Je bosse qu’ en numérique, parce que ça prend moins de temps. De toute façon, au Label, il y a une manière de traiter les couleurs que je ne me voyais pas faire en traditionnel. Au niveau des ambiances, pour faire des grosses lumières fortes… j’aurai eu une passe par Photoshop et c’est super dur de trouver un scanner qui retranscrit parfaitement ton trait à la main, en numérique. Du coup, full numérique, à la Cintiq. 


En full numérique, tu n’as pas la tentation d’aller trop dans le détail ? De tout retoucher ? 

Petit rapace : Si, ça m’handicape de ouf. J’ai pris des mauvais réflexes, de zoomer à mort par exemple. Je vais essayer de changer ça, c’est une perte de temps, à la lecture on ne relève pas tous les détails. Il y a des choses sur lesquelles j’ai passé du temps, qui ne servent pas rétrospectivement. 

Comment tu es arrivé à cette couverture avec les personnages qui prennent la pose ? 

Petit rapace : Je me suis inspiré de la couv’ de Bowery boys, dessinée par Ian Bertram qui avait fait Little Bird qui est un comics hyper stylé. Et dans Bowery boys tu as des kids assis sur un escalier avec derrière les pieds et les mains du méchant et je me suis inspiré de ça parce que j’aimais bien l’idée de faire deux plans avec les méchants en fond, qu’on voit pas trop. J’ai dû faire deux-trois tests, mais je me suis vite arrêté sur ça. 

© Petit rapace / Rue de Sèvres / Label 619

© Petit rapace / Rue de Sèvres / Label 619

Et ton expérience de publication dans Doggy Bag et LowReader, ça t’a aidé pour ton album ?  

Petit rapace : Ouais de ouf. À la base, j’ai contacté le Label avec déjà le projet de Slum Kids, il y a trois-quatre ans. Run m’avait dit de d’abord me mettre sur des histoires courtes avant, pour m’entrainer. Comme je suis très jeune, déjà voir si ça me plaisait vraiment, me roder un peu. Et il avait grave raison. 

Du coup j’ai fait une histoire dans Doggy Bag, et la première que j’ai faite est sortie dans LowReaderN°3. La question s’est reposée après ces deux histoires, de faire Slum Kids et là Run m’a proposé de faire un test en mode histoire courte dans LowReader. C’était une bonne idée, parce que ça m’a permis de vraiment mettre en place la charte graphique de l’univers. C’est des détails, mais pour les montagnes de déchets : est-ce que je dessine chaque petite merde ou est-ce que je fais certaines zones ? On voit que je tâtonne encore un peu sur cette grammaire visuelle dans le T1. Du coup, ça m’a pas mal aidé de faire le LowReader, parce que j’ai dessiné tout un tas de petits props mais je me suis rendu compte que ça ne servait pas à grand-chose, du coup j’ai été plus à l’essentiel dans le T1

J’aime bien l’idée —un peu en mode japonais— de faire une histoire courte et si ça marche d’en faire une série. 

Tu vas en faire d’autres ? 

Petit rapace : Oui si j’ai l’occasion de le faire ! C’est un bon exercice, et quand tu as fait un 100 pages, ou plus que 100 pages, c’est assez reposant. Un 30 pages, ça prend trois-quatre mois au lieu d’un an et demi. 

Et ça permet de tester des trucs, que ce soit graphiquement ou sur des scénarios. J’ai des projets pour plus tard, qui changent d’univers et c’est le genre de trucs que j’aimerai tester sur des formats plus courts pour voir ce que ça donne. 

Si j’arrive à les raconter sur une histoire courte, je peux les raconter sur un format plus long. Parce qu’au final, c’est un peu les mêmes contraintes, dans le 30 ou le 100 pages : tu es obligé de cut, et d’aller à l’essentiel. Ce sera dans le cadre que tu as défini, les ambitions de ton histoire de 30 pages correspond à 30 pages et tu vas devoir choisir ce que tu mets en avant et couper des scènes. Mais tu as le même problème dans le 100 pages, au final les deux se valent en tant d’exercice, mais le 30 pages te prend moins de temps. Et te permet de se roder sur un univers. 

Donc oui, j’en ferais d’autres si je peux.

En attendant la suite, vous avez de quoi découvrir son univers dans Slum Kids puis dans l’histoire courte du même nom dans LowReader N°2 avant de passer aux histoires courtes dans LowReader N°3 et Doggy Bag T17.

Thomas Mourier, le 18/12/2023

Slum Kids de Petit rapace, Rue de Sèvres / Label 619

-> Les liens renvoient sur le site Bubble où vous pouvez commander les œuvres évoquées.

© Petit rapace / Rue de Sèvres / Label 619