Emmanuelle Parrenin, AJ Suede et Steve Turre
La couleur des feuilles change et les murs de la ville ne tremblent pas, malgré Shakespeare. Alors, Emmanuelle Parrenin dans ses œuvres (le retour). Puis, un rapper dont personne ne parle ou presque : AJ Suede, et on termine jazz ou presque, avec le nouveau Steve Turre à la conque et au trombone. Deux sucres ?
Emmanuelle Parrenin a toujours été une collecteuse de sons : elle apprend la musique de façon clandestine et instinctive en reproduisant sur un piano les mélodies qu’elle entend s’échapper des différents salons de répétition de la maison familiale, où la musique résonne de partout : son père dirige le Quatuor Parrenin, et sa mère est professeure de harpe.
Dans les années 70, elle poursuit cette relation buissonnière à la musique et aux sons en partant sur les routes, en France et au Canada, pour collecter, nagra à l’épaule, des airs et des chants traditionnels. Elle poursuit son exploration des sonorités du passé en redécouvrant des instruments alors tombés dans l’oubli : l’épinette, la vielle et plus tard la harpe, qu’elle apprend en autodidacte. Elle contribue ainsi à l’émergence du mouvement folk en France.
En 1978, elle sort Maison rose, son premier album solo, qui joue de toutes les frontières et de tous les styles, et qui constitue un tournant dans son parcours musical et artistique. Il fait la synthèse de dix ans de parcours folk et d’exploration des sonorités traditionnelles et en même temps il ouvre un champ nouveau, diamétralement opposé : celui de la musique expérimentale et des sonorités contemporaines. Dans les instruments anciens, elle ne cherchera plus désormais la mémoire close des résonances du temps passé mais l’infini des résonances possibles qu’ils ont à offrir au temps présent. Elle collabore alors avec les frères Baschet, Jacques Rémus et Bruno Menny (élève de Xénakis).
En 1990, suite à un grave accident, elle devient sourde. La médecine moderne étant impuissante, elle guérit en rééduquant ses oreilles par les sons de sa voix et la résonance de ses instruments. A partir de cette expérience, elle se tourne vers les musiques de guérison et la musicothérapie et crée la Maïeuphonie, qu’elle exerce pendant quinze ans dans des instituts et des hôpitaux psychiatriques pour enfants. Elle se concentre aujourd’hui sur la formation lors d’ateliers et de stages et enseigne régulièrement au Centre International de Musicothérapie. Au gré de ses voyages, elle collecte toutes sortes d’instruments de guérison et s’intéresse aux chants médecine et à toutes les techniques traditionnelles qui exploitent la dimension thérapeutique du son.
Elle reprend en parallèle sa carrière de musicienne et crée en 1997 un spectacle pour enfants. « Belle et Lurette » où elle est aussi conteuse.
Les années 2000 marquent le retour à la musique expérimentale et à la chanson. Elle rencontre de nombreux musiciens autour du collectif-maison de disques les Disques Bien, avec lesquels en 2011, trente ans après Maison rose, elle enregistre « Maison cube. » A partir de là elle rencontre les musiques électroniques et collabore avec des artistes comme Etienne Jaumet, Vincent Segal, Pierre Bastien, Tomoko Sauvage, Didier Petit, Zombie Zombie et est invitée dans divers festivals, comme Villette Sonique, Sonic Protest et le Mofo.
Resituons… Maison Rose est le premier volet des trois maisons sortis jusqu’à présent Rose, Cube et cette année Targala, la maison qui n’existait pas. Le premier figure sur le prestigieux listing de Nurse With Wounds des indispensables de tout horizon pour ses climats ambient/folk et la mise en pratique de toutes ses précédentes expériences entre folk, classique et autre. Les autres bénéficient des avancées du son et des musiciens dont elle s’entoure. Et pas des moindres au niveau de la recherche… Le Souffle Continu a ressorti ce mois-ci à la fois Maison Rose et Pérélandra ses travaux pour la danse, qui tisse des liens plus cinématiques que les autres albums dont celui pour Versatile avec Weinrich. Que du bon !
AJ Suede revient avec le projet n°3 pour 2022, et le boom bap psychédélique abstrait et échantillonné qui en résulte se classe au même rang que Metatron's Cube comme son meilleur travail à ce jour. Même son deuxième projet de l'année, le Hundred Year Darkness assisté par Small Professor, est l'un de ses meilleurs, prouvant qu'il n'a fait que commencer à atteindre son sommet en tant qu'auteur et conteur abstrait. Plusieurs favoris de l'underground sont notamment présents, dont Zilla Rocca, Astral Trap, Bloodmoney Perez, Rich Jones et Pink Navel, que je recommande vivement de découvrir. Blass 89 et Eldon Somers sont également présents. AJ a un catalogue dense, mais comme il le prouve sur plusieurs morceaux de cet album, son travail auto-produit est tout aussi digne d'attention que ses joints assistés par des producteurs. Oil on Canvas marque par la qualité de ses samples jazz noyés mais reconnaissables et son flow qui n’en fait jamais trop. le hip hop underground a encore de beaux jours devant lui. Et nous on kifffe grave !
Même si Turre a sorti de meilleurs albums, ce Generations ( passe le flambeau coco ! ) est notable ndas sa volonté d’élargir et le cercle musical et les thèmes abordés. Entre old and new dreams ( merci Don Cherry), ça se tient excellemment de bout en bout. Le tromboniste et compositeur Steve Turre s'est vu passer le flambeau du jazz au début de sa carrière par certains des plus grands maîtres de la musique - Art Blakey, Rahsaan Roland Kirk, Woody Shaw et Ray Charles. Dans son nouvel album, Generations, Turre réunit les époques, invitant des légendes encore vivantes à se joindre à un groupe de sang neuf, tout en rendant hommage aux aînés qui ont contribué à façonner son son. Generations comprend des joueurs de la deuxième génération, dont le fils du tromboniste, le batteur Orion Turre, ainsi que le trompettiste Wallace Roney Jr, dont le père était un ami proche et un collaborateur de Turre. En outre, le noyau dur de l'orchestre comprend le jeune pianiste Isaiah J. Thompson et le plus expérimenté Corcoran Holt à la basse, qui travaille avec Turre depuis plus de dix ans.
Au cours de l'album, ce groupe exceptionnel est rejoint par le saxophoniste James Carter, les guitaristes Ed Cherry et Andy Bassford, le claviériste Trevor Watkis, les bassistes Buster Williams et Derrick Barnett, les batteurs Lenny White et Karl Wright, et le percussionniste Pedrito Martinez.
"Il y a un équilibre entre la jeunesse et l'âge", déclare Turre. "L'âge apporte la sagesse et la connaissance, et la jeunesse l'enthousiasme et l'énergie. Jouer avec chacun d'entre eux me fait progresser d'une manière différente. Les aînés me font profiter de leur sagesse, tandis que les jeunes mettent le feu aux poudres. Tout cela est une source d'inspiration".
Cette inspiration porte ses fruits dans l'un des enregistrements les plus scintillants et les plus éclectiques de la carrière de Turre, qui va du jazz modal brûlant aux ballades tendres, du swing sophistiqué aux grooves reggae et aux rythmes latins, sans oublier, bien sûr, le blues à la base de tout. "Le blues ne vieillit jamais", déclare Turre. "J'aime jouer le blues. Pour moi, c'est la quintessence de la musique américaine."
Allez, à la semaine prochaine, on parlera de techno pour changer…
Jean-Pierre Simard le 19/09/2022
Emmanuelle Parrenin - Maison Rose et Pérélandra - Souffle Continu
Aj Suede - Oil on Canvas - Knowhatimean Incorporated
Steve Turre - Generations - Smoke Sessions