Se faire chavirer l'âme en 342 pages par Patrice Blanc-Francard, c'est bien
Le journalisme musical, à ce niveau, c’est rien que du bonheur. Et, pour cause, le criminel auteur de cet opus n’est autre que l’homme qui nous a accroché les oreilles, puis les yeux, à nous faire découvrir avant les autres ( très important) les musiques caribéennes à signer les notes de pochette des disques de jazz, ou même à inventer POP 2. J’ai nommé Patrice Blanc-Francard, vrai amateur et super plume.
L’argument est là : “C’est l’histoire d’une musique, née dans les communautés d’esclaves noirs, forgée dans la souffrance, et qui devint universelle. Une musique qui continue encore aujourd’hui à parler à la plus mystérieuse partie de notre être, notre âme. Cette âme est devenue verbe, et le verbe musique : “soul music”.
Mais ce n’est qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale que la soul a pris sa forme la plus populaire, avec les débuts de ce que l’on a appelé le rhythm & blues, fleurissant dans des villes devenues mythiques, de Memphis à Détroit en passant par La Nouvelle-Orléans, traversé et façonné par les événements historiques et politiques du XXe siècle américain. Une musique portée par des labels et des producteurs qui ont parfois commencé avec rien, au fond d’un garage, avant d’entrer dans la légende, comme Atlantic ou la Motown.
“Rock my Soul” retrace le parcours souvent chaotique de stars aux noms qui font rêver : James Brown, Otis Redding, Aretha Franklin, Stevie Wonder, Marvin Gaye, Ray Charles, Diana Ross, Tina Turner, Michael Jackson et Prince, des artistes immenses qui ont porté la gloire de la soul à son zénith ; sans oublier, tout récemment, Anderson Paak ou Leon Bridges, emblèmes de la nouvelle génération…”
Mais du côté du bonheur d’écriture ? On va dire que c’est du Sam Cooke en verres miroir pour paraphraser Bruce Sterling et le cyber-punk. Blanc-Francard fait le job en mixant grande et petite histoires, de la naissance aux dernier rebonds, en offrant les anecdotes pointues et les coups de génie, le dérisoire et les malheurs, les idées novatrices et la quête du succès qui en fait une success story spécifiquement des USA. Et le propos intial devient secondaire à narrer l’évolution de la conditoj des noirs qui arrachent victoire après victoire leur intégration à un monde qui ne rêve que de les voir rester là où l’esclavagtisme les avait placé… C’est seulement dans les années 15/20 du XXI e siècle que certaine arrivent au statut envié de milliardaire (Dr Dre, Jay Z… ) mais c’est les idées novatrices qui ont fait bouger les corps et la musique qui ont permis cela, en dégelant le cul des petits blancs et en ayant pour seul moteur que l’envie de se faire reconnaître pour être respecté. C’est l’autre du livre que mettre les bons sous-titres et les personnages en perspective pour faire avancer l’histoire de la soul avec elle de l’émancipation. On voit clairement les liens entre les stars de la musique et de la politique, ceux entre la religion omniprésente ( et souvent dévastatrice pour Franklin et Gaye) et les envies de parler du monde à défaut de pouvoir y exister pleinement. Chaque avancée du son devient une avancée de la société (via la consommation et le marché du disque). Des frères Chess aux Ertegun, de Sam Philips à Jerry Wexler et leurs successeurs, la quête sans cesse renovuelée du son qui touche juste, celui qui va servir de révélateur à un moment, une tendance, une période, un moment du monde. Et bien sûr, vous faire chavirer l’âme. Et c’est déjà pas mal ! Lecture conseillée de l’été, avec toi tuyeau à côté, pour être synchro avec les feelings évoqués.
Jean-Pierre Simard le 11/07/2022
Patrice Blanc-Francard - Rock My Soul - éditions Calmann-Lévy
P.S: ne foncez pas sur le titre en cherchant sur You Tube, il ne renvoie qu’à Peter Paul & Mary et leur tube éponyme méga-tube folk des 60’s.