BD & littérature, les bonnes feuilles du printemps
Encore pas mal d’adaptations de romans en bande dessinée en ce début d’année, la tendance est telle que plusieurs maisons d’édition se sont spécialisées, en plus des collections déjà existantes.
Encore pas mal d’adaptations de romans en bande dessinée en ce début d’année, la tendance est telle que plusieurs maisons d’édition se sont spécialisées, en plus des collections déjà existantes.
Au cinéma, cela fait longtemps que les adaptations font partie intégrante de l’équilibre des projets chez les producteurs, en série on voit que c’est de plus en plus le cas sur les plateformes. Mais en bande dessinée, on trouve depuis longtemps les textes classiques, quelques best-sellers ou auteurs emblématiques, mais on voit aujourd’hui arriver des catalogues qui vont piocher dans les sorties tous horizons confondus.
L’adaptation n’est jamais fidèle, et ne doit pas l’être, c’est l’essence même de ce type d’œuvres : proposer une vision ou un angle nouveau sur une matière existante. Par ce travail de relecture active, l’adaptation en bande dessinée va sélectionner certains éléments et nous proposer de voir l’histoire d’un autre point de vue. La lecture du roman original devient complémentaire plutôt qu’en compétition et l’album sera une porte d’entrée dans l’imaginaire des auteurs adaptés.
Je vous propose quelques idées de lectures, 5 adaptations qui ont retenu mon attention.
📚 Au sommaire :
Les représentants de Vincent Farasse adapté par David Prudhomme, Alfred, Anne Simon et Sébastien Vassant, Virages graphiques
Seul le silence de R.J Ellory adapté par Fabrice Colin & Richard Guérineau, Philéas
La ferme des animaux de George Orwell adapté par Odyr, Grasset
Mort aux cons de Carl Aderhold adapté par Corbeyran & Saint-Georges, Jungle Radam
La Terre Vagabonde de Liu Cixin adapté par Christophe Bec & Stefano Raffaele, Delcourt
Les représentants de Vincent Farasse adapté par David Prudhomme, Alfred, Anne Simon et Sébastien Vassant, Virages graphiques
Un titre qui arrive à point nommé, pour la présidentielle, Les représentants raconte 5 moments de vie le jour des élections présidentielles de 1995, 2002, 2007, 2012 et 2017. Ces histoires sont à l’origine une pièce de théâtre de Vincent Farasse que l’auteur à décidé de mettre en image avec la complicité de David Prudhomme, Alfred, Anne Simon et Sébastien Vassant.
Les auteur.trice.s s’approprient les courts textes pour en faire des nouvelles graphiques où chaque scène a son ambiance et son traitement. C’est une des forces du livre, d’avoir à la fois une pluralité de dessinateurs et dessinatrices avec chacun un style marqué qui ne se fondent pas dans l’ensemble. C’est souvent l’écueil des collectifs qui est surmonté ici par le dessin.
Chaque histoire à son ambiance et permets de mieux mettre en valeur le texte qui lui aussi effectue des variations d’une élection à l’autre. Les moments choisis de 1995 ou de 2017 sont très différents et Vincent Farasse s’amuse de ses situations incongrues derrière le fil rouge de l’élection. C’est très fin et barré à la fois, les auteur.trice.s choisis permettent, via leurs traits bien choisis, beaucoup d’empathie et de distance pour ces héros d’un soir.
Un beau livre pour aborder la politique par une autre porte, le côté détourné fonctionne très bien en bande dessinée en profitant de la dualité texte-image.
Seul le silence de R.J Ellory adapté par Fabrice Colin & Richard Guérineau, Philéas
Grand connaisseur de l’œuvre de R.J Ellory, Fabrice Colin a adapté plusieurs de ses livres en bande dessinée, mais son association avec Richard Guérineau au dessin en fait l’une des plus réussies. Assez fort dans ses choix artistiques graphiques que dans la transposition du roman en bande dessinée, cet album joue sur les temporalités et la mise en scène.
Dans ce roman de R.J Ellory, on trouve un écrivain qui chasse un tueur en série qui lui a fait du mal et qui est également le meurtrier de plusieurs petites filles dans un coin reculé de Géorgie. Les auteurs prennent le parti de nous montrer la jeunesse de Joseph avant la traque du tueur mystérieux à travers les États unis. Une histoire plutôt glauque avec cet assassin qui s’en prend aux enfants qui va prendre une tournure complexe avec d’autres styles de meurtres qui viennent compliquer l’enquête. Le dessinateur alterne plusieurs styles de dessin pour nous faire ressentir ses variations ou même du dessin dans le dessin pour superposer des pensées et des morceaux de roman au présent du narrateur ou à des souvenirs. Le découpage de ce point de vue est assez bien pensé pour mélanger ces niveaux d’écriture qui se superposent, on trouve aussi des textes insérés, assez fluides dans le découpage, pour nous donner à lire le roman de Joseph, mais aussi des cartouches qui permettent d’inclure le roman dans le roman.
Un jeu de construction graphique, mais aussi dans le scénario qui permet de rendre la complexité du texte d’origine sans le trahir par une illustration trop simpliste des scènes. Une bonne proposition qui permet d’ajouter un plus visuel en restant assez fidèle à l’œuvre d’origine tout en jouant avec le suspens.
La ferme des animaux de George Orwell adapté par Odyr, Grasset
À la frontière de la bande dessinée et du livre d’illustration pour adulte, cette adaptation du roman de George Orwell est remarquable par le talent pictural du dessinateur brésilien Bernardi Odyr. Comme pour 1984 adapté par Fido Nesti chez le même éditeur, le dessinateur s’empare d’une nouvelle traduction de Josée Kamoun pour proposer une adaptation très fidèle au texte, l’illustrant à la manière d’un conte plus qu’une bande dessinée.
Pourtant l’objet reste assez hybride avec son découpage en cases, avec quelques bulles et utilisations de l’espace propres à la BD. Odyr, qui avait déjà publié Copacabana, maîtrise ses choix graphiques pour nous proposer un album atypique qui rend hommage au texte d’Orwell qui ne l’est pas moins.
Cette histoire vous la connaissez, c’est celle de la révolte des animaux dans une ferme qui va rejouer la révolution russe où une caste prend le pouvoir sur les autres en affirmant qu’elle le fait pour le bien commun. À travers la fable, George Orwell interrogeait le pouvoir, la lutte des classes et idéologies dans un texte qui sonne toujours d’actualité à l’heure où le monde ne va guère mieux.
Odyr passe à la peinture directe et propose un univers très coloré qui contraste avec la noirceur de la tragédie. La mise en scène et les couleurs sont joyeuses, nous sommes dans le conte jusqu’au moment où il bascule dans la dystopie pour les animaux, où les chiens se sont plus menaçants et les cochons s’installent à la table des humains à qui ils avaient juré de ne jamais ressembler. Et finalement, cet album ne ressemble pas à un autre, une manière pour l’artiste d’y échapper en sous-texte.
Mort aux cons de Carl Aderhold adapté par Corbeyran & Saint-Georges, Jungle Radam
La connerie est la nouvelle star des librairies, après le succès de Faut pas prendre les cons pour des gens (lire le coup de cœur ici), les auteurs s’attaquent à adapter un polar particulièrement pertinent sur le sujet où le héros décide de tuer tous les cons.
Pour cette adaptation, Éric Corbeyran s’associe à un jeune talent, repéré au concours du Festival de la BD d’Angoulême, Alexis de Saint-Georges pour en proposer un angle neuf. Le dessinateur propose des variations graphiques bienvenues au cœur de l’album pour alterner les ambiances à travers son utilisation de la couleur et jouer sur des ruptures de ton en accord avec le texte. Si l’album démarre de manière assez classique, on est assez vite emporté par l’intrigue loufoque de Carl Aderhold retravaillée par Corbeyran.
Si vous n’êtes pas amateur d’humour noir, laissez-vous convaincre quand même par ce justicier foireux qui décide d’éradiquer les cons. Si les premiers meurtres sont assez “faciles” pour lui, déterminer qui est con va devenir un dilemme moral au fil de l’intrigue. Encore plus quand un flic se met à débattre avec lui du sujet pour le plaisir de la discussion.
Peut-on vraiment créer un monde meilleur en laissant un tueur en liberté faire le sale boulot ? Si tenté qu’il soit possible de déterminer qui est vraiment un con ? Les fans de Death note trouveront un autre angle d’attaque sur un thème commun, où cette fois notre héros n’a pas besoin d’un carnet noir, mais plutôt d’un peu de jugeote.
La Terre Vagabonde de Liu Cixin adapté par Christophe Bec & Stefano Raffaele, Delcourt
Nouvelle collection ambitieuse, Les Futurs de Liu Cixin propose quinze albums qui adaptent des nouvelles de l’écrivain chinois par des équipes d’auteurs internationaux. Liu Cixin est un auteur de science-fiction récompensé et populaire dans le monde entier depuis son best-seller Le Problème à trois corps. Le projet est de proposer une collection de SF autour de son œuvre moins connue, ses nouvelles, en réunissant des auteurs de talents.
Avec La Terre Vagabonde Christophe Bec & Stefano Raffaele s’emparent d’un court roman (déjà adapté à l’écran sous le titre The Wandering Earth, dispo sur Netflix) où la Terre est en passe d’être déplacée de son orbite et système solaire pour échapper à sa destruction. On va suivre la vie d’une personne à tous les âges de sa vie pour accompagner cette transition inédite, mais aussi les grandes étapes de ce plan qui mobilise la population mondiale. On suit le destin d’un jeune chinois qui va nous faire vivre les grandes étapes de cette course contre la montre, mais aussi découvrir la vie sur Terre à cette époque.
Chaque album sera un one-shot et explorera des thématiques différentes. Les auteurs choisis pour chaque livre ont quelques affinités avec les thématiques, dans La Terre Vagabonde le dessinateur propose des planches très travaillées pour donner à voir cette vision futuriste, l’éditeur leur a permis de proposer même des doubles doubles pages qui se déplient à des moments clefs. Les auteurs jouent sur le suspens et le côté angoissant plus que la hard SF et se concentrent sur les personnages ou l’action plutôt que de plonger dans les explications. Cela donne une adaptation singulière où on sent bien l’ADN des auteurs qui s’adaptent. On espère que les adaptations suivantes seront aussi personnelles.
Thomas Mourier le 25/04/2022
BD & litté, les bonnes feuilles du printemps
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