Avec Gaye Su Akyol, le dragon anatolien rêve encore et raconte des histoires pour l'avenir

Courage, bravoure et audace sont les mots d'ordre qui ont guidé la chanteuse turque Gaye Su Akyol pour réaliser Anadolu Ejderi, son premier album en quatre ans. En s'appuyant sur un mélange de psychédélisme turc des années 70, commentaires engagés et sonorités rétro-futuristes, sa vision personnelle sans compromis se confirme.

Déjà encensée pour son mélange étonnant et novateur de psychédélisme turc et de chanson folk, de musique de surf et de rock occidental des ʼ90s, un sweet spot mondial où l'héroïne de la musique anatolienne Selda Bağcan a côtoyé Kurt Cobain, Akyol était prête à élargir sa vision après une période acharnée sur la route.

"J'étais fatiguée de faire des tournées", dit-elle. J'avais vraiment besoin d'une pause, d'un peu d'air frais."

La pandémie de Covid lui a offert cela, même si c'était pour de mauvaises raisons.

"Avec tout ce qui était fermé, nous devions tous rester assis à la maison. L'isolement m'a donné le temps d'écrire. Je me suis retrouvée avec plus de 100 chansons. J'ai essayé d'élargir la palette : commencer par le folk et la pop anatolienne, puis voir comment ajouter des sons africains et moyen-orientaux, la révolution soul, le disco et le rock d'autres cultures. La musique est toujours assez psychédélique, mais elle se connecte à différents domaines, à tous les genres pop que j'aime tant. La partie la plus difficile a été de choisir les bonnes chansons et le bon ordre."

Tout sur Anadolu Ejderi - dont le titre se traduit par "Dragon anatolien" - crache du feu. Il prend des risques, les paroles offrent une exploration de la politique dans la Turquie d'aujourd'hui. Le côté personnel y est pour beaucoup.

"Dans un climat politique où l'engagement d'une femme pour sa passion, pour tomber amoureuse, pour son identité sexuelle est assez révolutionnaire, elle est profondément passionnée et capable d'exprimer son amour librement", note Akyol. "Il aurait été facile de s'asseoir dans la zone de confort du passé".

Au lieu de cela, elle a franchi toutes ces barrières. S'il peut rappeler la beauté d'Istanbul avant les coups d'État qui ont changé l'endroit, lorsque le pays a basculé, Anadolu Ejderi est un disque rempli de possibilités et qui plonge dans l'inattendu. On le retrouve dans la joie dansante de glisser une section disco dans la chanson titre ou dans la beauté austère des ouvertures acoustiques de "Yaram Derin Derin Kanar" et "Biz Ne Zaman Düşman Olduk", qui arrivent comme des chocs dans le système. Si vous pensiez savoir à quoi vous attendre dans la musique de Gaye Su Akyol, les choses ont changé.

Cela se ressent dans l'instrumentation, qui établit des liens plus étroits entre le passé et le présent de la Turquie. Le trio rock guitare, basse et batterie est désormais accompagné d'instruments traditionnels comme le violon, l'oud, l'électro baglama, le cümbüş, le sazbüş.

"J'assemblais différents matériaux", se souvient-elle. "On a l'impression que rien n'est sûr, et c'est ce dont j'avais besoin. Lyriquement, musicalement, c'est une liberté. C'est un manifeste. En tant qu'amoureuse du psychédélisme turc, je savais que je devais aller en profondeur et étendre les genres. J'ai l'impression d'être un scientifique car cela s'est transformé en une réaction chimique qui a repoussé les limites des genres qui m'ont influencé."

C'est son pas de géant, son saut dans quelque chose de plus cru que connu.

Avec Anadolu Ejderi, Akyol dit : "Je raconte des histoires pour l'avenir." Pour faire cela, il faut du courage. Il faut de la bravoure et de l'audace. Écoutez, et vous entendrez le rugissement du dragon anatolien. Le vizir Iznogoud doit sentir le vent tourner dans son turban de traviole … 

Jean-Pierre Simard le 28/11/2022
Gaye Su Akyol - Anadolu Ejderi - Glitterbeat Records