Fred appelle maison : Fred Again…

Depuis 2019, Fred Gibson est partout, responsable comme producteur d’un tiers des hits du top anglais cette année-là, il reçoit un Brit award l’année d’après. Aujourd’hui, c’est l’artiste qui revient avec un album/journal de voyage et de sons Actual Life 3. Pour un type qui enregistre ses samples avec son phone conseillé par Eno, le résultat risque de faire durer l’été - dans les clubs comme à la maison. Jouissif !

Mais avant, il y a eu la rencontre avec Brian Eno dont il est devenu l’assistant à 15 ans pour ensuite co-produire les deux albums avec Karl Hyde d’Underworld en 2014, avant de devenir producteur freelance avec un total dédain pour les styles et registres musicaux. Ce qui l’a amené à bosser autant pour Roots Manuva qu’Ed Sheeran. Ensuite, il y a eu la première partie de Actual Life - sous-titrée 14 avril - 17 décembre 2020 et publiée en avril 2021 - qui a résonné d'un sentiment collectif de saturation numérique après le confinement. Avec tous les enregistrements compressés par son téléphone, et les pistes ensuite finies sur son ordinateur portable, il y a un sentiment palpable de confort proche qui reflète nos mois passés à communiquer à distance. "Pour beaucoup de gens, les albums sont des disques d'enfermement", reconnaît-il, "mais moi, j'étais déjà en plein dans l’action avec la musique]".

 Formatée comme un journal intime musical - ses deux premiers albums sont également horodatés - la série Actual Life n'est pas augmentée d'invités de renom, comme c'est le cas des projets de producteurs devenus artistes, mais d'une tapisserie d'enregistrements audio ambiants, tirés du téléphone de Gibson, mettant en scène des amis et des inconnus, ainsi que des messages viraux sur les médias sociaux et des bribes de poésie. Ces enregistrements sont ensuite enveloppés d'un piano délicat, de rythmes fracassants et, lorsqu'il n'est pas possible de trouver une ambiance spécifique en ligne, de nouvelles paroles chantées sur le ton feutré de Gibson.

Le trio d'albums est également empreint d'un sentiment général de purge émotionnelle, autre pilier du confinement. Gibson semble sur moins à l’aise lorsqu'il aborde les détails personnels, ses réponses devenant fragmentaires. "Essentiellement, il s'agit de tomber amoureux de quelqu'un qui est allé très mal et puis ..." Il s'éloigne. Plus tard, il mentionne combien il a été difficile de visiter les hôpitaux pendant le confinement. Actual Life 3, dit-il, consiste à "tracer une ligne dans le sable ... parce que j'ai besoin de me donner la permission de faire autre chose. Et d'écrire sur autre chose". Au départ, il supposait qu'il serait capable de tracer proprement son processus de deuil avec chaque album, se terminant par une résolution, "mais ce n'est pas comme ça que cet aspect de l'émotion fonctionne". Sur le magnifique single de l'album, Bleu, une voix fantomatique chante "Je sais juste que ça s'améliore avec le temps".

 Même si Actual Life 3 est plus axé sur les clubs que ses prédécesseurs, naturellement influencé par la dernière année passée à "jouer dans les raves à nouveau", il conserve un sentiment de danse à travers la douleur. C'est un processus de catharsis créative qui a finalement permis à Gibson de passer du statut de producteur à celui d'artiste. "Les messages que je lis de la part des gens qui me disent à quel point [les albums] comptent pour eux ont changé ma vie", dit-il, le sourire aux lèvres. "Je fais maintenant de la musique d'une manière totalement différente de ce que je faisais avant". Au moins un pour lequel le confinement aura servi à faire sa propre révolution- et nous la faire partager. A y retrouver ce qui faisait tout l’attrait du rock jusqu’au grunge, à savoir la culture du frisson par le frisson du partage de la culture en train de se faire. Ce dont on vous parle assez régulièrement ici (d’ailleurs!).

 Jean-Pierre Simard le 31/10/2022
Fred Again… Actual Life 3 ( January 1- September 9 2022) Atlantic