“Furieuse” ou le tranchant des âmes de destruction massive
Avec “Furieuse”, Mathieu Burniat & Geoffroy Monde proposent une relecture décapante de la légende arthurienne à travers le personnage d’Ysabelle, une jeune fille en quête d’émancipation.
Après avoir, chacun, exploré le fantastique, la SF ou les contes et légendes, Mathieu Burniat & Geoffroy Monde s’associent pour un conte à la fois sombre, inventif et humoristique de 220 pages, réécrivant la destinée d’Arthur, Merlin et d’une certaine épée magique, centrée cette fois autour de la jeune Ysabelle, fille cadette du roi.
Le royaume de Pendragon a été visité par les démons venus des enfers et seul Arthur — avec l’aide de Merlin et son épée douée de conscience — a pu repousser l’invasion. Après ce sauvetage-choc, le royaume a commencé à dépérir sous la coupe de ce monarque usé, devenu alcoolique et incontinent, qui souhaite marier sa fille à l’obséquieux baron de Cumbre. Un personnage inquiétant avec son look de pokémon humain qui dissimule à peine la noirceur de ses ambitions qui est accompagnée de son monstre, Claude, un valet plus proche de la créature de Frankenstein que d’un homme.
Dans les couloirs du château, l’épée sollicite Ysabelle, Ysa, et la prie de la prendre avec elle si elle s’enfuit pour échapper à ce mariage effrayant. Courageuse, Ysa fugue et part à la recherche de sa sœur aînée qui a suivi le même chemin des années plus tôt, sans oublier dans son baluchon la rapière douée de conscience. Elles vont traverser le royaume en quête de cette sœur, mais aussi de Merlin pour briser le lien entre Arthur et l’épée. Au fil de cette quête, des rencontres et des révélations sur ce chemin plein d’embûches, Ysabelle va se révéler.
« On ne fond pas une bonne épée avec du mauvais fer »
On retrouve dans Furieuse un humour proche de celui de Winshluss dans son Pinocchio ou même de Matt Groening dans sa série Désenchantée, où les grandes figures qu’on imagine héroïques sont à fuir, où les protagonistes sont sincères, mais bien trop naïfs, et où leur environnement recèle mille dangers, pas tant par les monstres qui y vivent, mais plutôt par la connerie ambiante.
Dans cet univers, rien n’est ce qu’il semble être. Les auteurs renouent avec cette matière de Bretagne où chaque conteur ajoute sa part de fiction, où la vérité n’est qu’une accumulation d’histoires. Le mensonge est au cœur du récit, les fakes news sont partagées par tous les habitants du royaume dans des séquences décapantes, et le monde autour d’Ysa ne semble être dominé que par les complots et les manipulations.
Mathieu Burniat & Geoffroy Monde s’amusent de cette fantasy à l’humour inquiétant en créant cet univers médiéval fantastique sale, glauque et où les humains ont l’air bien plus effrayants que les démons qui ont passé le portail des enfers. Ici-bas, la jeune femme se fait agresser en permanence, avec pour seul réconfort cette épée magique à ses côtés qui ne rêve que de baston. De désillusion en désillusion, Ysa va devoir se forger son propre chemin.
« L’épée use le fourreau »
À travers l’humour, cette quête de liberté et des parallèles intéressants avec notre époque, Furieuse propose une fantasy décapante servie par un dessin à sa mesure. Pour ce nouveau titre Mathieu Burniat adapte son style, il garde un côté cartoon sombre développé dans Trap, mais durcit encore le ton. L’encrage est plus classique, et s’éloigne du trait charbonneux, et certains décors se font réalistes. Mais l’auteur conserve la même énergie loufoque dans le design des monstres, le même humour graphique dans les figures du baron de Cumbre, du vieux Arthur ou du massif Claude. Ysa est traité à part, seul personnage sans nez avec son visage rond et rouge, elle détonne dans cet univers déjà déjanté et cette plasticité permet aux auteurs de la faire évoluer dans cette histoire qui est la sienne.
L’album semble emprunter beaucoup aux codes du manga, dans sa gestion du temps ou de l’évolution des personnages, mais surtout dans le dessin et la manière de mettre en scène ces planches. Les auteurs jouent avec la temporalité et malgré les nombreuses scènes d’action très fun, ils se concentrent sur l’évolution de leurs héros avec une écriture qui permet des ruptures, des déformations des corps ou des visages et des accélérations transmises par le découpage très travaillé.
Cette pâte graphique, rehaussée des couleurs flashy choisies par le duo, renforce à la fois le côté burlesque et délirant de l’univers, tout en gardant une cohérence à l’ensemble. Geoffroy Monde, également dessinateur, aime aussi donner des couleurs très tranchées à ses livres, en témoigne sa saga Poussière qui s’inscrit dans la même démarche.
Si tout tourne autour d’Ysabelle et de « son » épée dans Furieuse, les choix narratifs et l’évolution de ces personnages sont très maitrisés dans cette succession de renversements proposés par cette quête atypique. Une écriture très fine, tout en gardant un côté jouissif, bourrin et absurde, portée par une approche graphique audacieuse.
Thomas Mourier le 17/10/2022
Mathieu Burniat & Geoffroy Monde - Furieuse - Dargaud
Comme d’habitude, les liens boutent sur Bubble où vous pourrez commander ce dsont on vous parle.
Pour cette édition, l’album bénéficie de fanarts en fin d’album par Amélie Fléchais, Élodie Shanta, Bertrand Gatignol, Mortis Chost, Marie Spénale, Julien Neel, Léa Murawiec et Mélanie Allag
En savoir plus vous pouvez découvrir cette interview en live avec Mathieu Burniat & Geoffroy Monde enregistrée le 13 octobre 2022.