Yard Act envoie du brutal/fameux avec The Overload

Si les assauts anguleux de la guitare de Sam Shipstone et le groove disco infatigable de la basse de Ryan Needham animent les onze titres de The Overload, la star du spectacle est le frontman James Smith, dont les saynètes sur l'Angleterre démolie, tissées avec un brio brutal, évitent les fanfaronnades du type "je déteste les Tories". Fort, très fort !

Depuis leur formation il y a quelques années, le duo devenu quatuor de Leeds a été comparé à tout le monde : de The Fall à John Cooper Clarke, en passant par Talking Heads, Half Man Half Biscuit, Ian Dury and the Blockheads et Franz Ferdinand, ainsi qu'à leurs contemporains Sleaford Mods et Dry Cleaning. Le battage médiatique, alimenté par l'arrivée des premiers maxi The Trapper's Pelts et Fixer Upper, puis par l'EP Dark Days, semble entièrement justifié, car The Overload est une première salve scintillante. Il canalise les commentaires sociaux cinglants et la vigueur no-wave de bon nombre des artistes susmentionnés, tout en mettant le doigt, de manière experte, sur le pouls décidément malade du Royaume-Uni, alors que le soleil se lève sur 2022. Drôle d’année, et soleil un peu pâlichon à dire vrai.

Le titre d'ouverture claque sur le dos d'un joyeux rythme de batterie carnavalesque qui le distingue de la foule post-punk moderne, et a déjà catapulté Yard Act sur les listes obligée des radios. Smith démonte sciemment les conseils condescendants des exécutifs musicaux : "jouez les standards et ne faites pas de politique" et "vous feriez mieux de virer cette tête de nœud de chanteur que vous avez dans le groupe". Puis ,on fonce tête baissée dans ce qui sera sans doute l'un des refrains les plus contagieux de 2022, un manifeste vocal de gang émeutier sur "La surcharge de mécontentement, Le fardeau constant de donner du sens, Il ne relèvera pas, il ne se repentira pas, Comment rester en dissonance".

Les accords rythmiques hachés de Shipstone et une ligne de tête sinueuse ouvrent la voie, sur Dead Horse, à la critique acérée de Smith sur la vie au Royaume-Uni au XXIe siècle, alors qu'il observe sèchement que "le dernier bastion de ce grand pays d'autrefois était son humour", s'en prenant à la politique populiste, au racisme et à la haine sur les médias sociaux, et gardant un peu de vitriol pour "les crétins qui dansent encore sur Sham 69". Dans Payday, son sujet est une vague d'embourgeoisement qui punit autant de gens qu'elle en récompense, le narrateur est perplexe à la vue des laitues bio qui poussent dans les nids de poule, et conseille sans détour "il y a des enfants qui meurent de faim en Afrique, alors allez envoyer vos armes à feu en Bosnie".

Un riff lo-fi sur quatre notes délibérément ciselé se fait entendre dans Rich, une évaluation art-rock déséquilibrée du capitalisme rampant, avant que Shipstone ne propulse les 80 secondes haletantes de Witness avec un riff punk hargneux digne des Stooges et un solo nerveux. Il explore plus avant une boîte à outils tonale variée avec un nodlage sans distorsion sur The Land Of The Blind, Smith observant avec sagesse : "les paumes graissées ne sont jamais sur les extrémités des coudes creusant les tombes des personnes récemment décédées".

Le point culminant, cependant, est Tall Poppies, une histoire sobre et habilement dessinée d'un jeune footballeur talentueux qui se perd. Pendant six minutes, nous assistons à une vie qui défile avant que, dans la scène finale, son village natal ne se réunisse pour pleurer sa disparition. Le texte d'introduction va droit au but. "Nous sommes si nombreux à n'être que des crabes dans un tonneau, sans aucun moyen d'échapper à l'inévitable abattage", soupire son auteur.

Smith est tout aussi poétique sur le dernier morceau, 100% Endurance, évoquant certains des moments les plus subtils et les plus conscients de Mike Skinner, lorsqu'il s'aventure brièvement hors de son timbre gris du Yorkshire et reconnaît à mi-sermon, avec la langue de bois, "c'est des conneries de hippie mais c'est vrai". Smith, de manière intrigante, décrit la chanson comme "un glissement du masque" et "une passerelle vers là où nous pouvons aller". Un peu de soleil dans l’eau froide avec un son d’époque.

Planqué au milieu de l'esprit acerbe, des évaluations sombres de l'après-Brexit, de la Grande-Bretagne mi-covide et de la cruelle inégalité de la vie moderne, on trouve un puits d'optimisme dans lequel Smith puise sur The Overload. Il termine surr une question rhétorique pleine d'espoir alors qu'il loue l'endurance de l'esprit humain face aux circonstances les plus éprouvantes. "Tout cela est tellement inutile", commence-t-il, avant de conclure "ah mais ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ?". C'est ce point de vue nuancé et cette détermination à ne pas se conformer à un type ou à alimenter la polarisation existante qui élèvent son écriture. "Les Gammons, les Karens, les Flocons de Neige, peu importe - je trouve tout cela tellement ennuyeux", dit-il. Pas de NFT à suivre ici … 

Certaines oreilles peuvent déjà être lassées de la vague actuelle de revivalistes post-punk, à une époque où l'on peut à peine se dépêtrer des imitateurs sans talent de Mark E Smith, et la poésie austère de Smith sur l'état de la nation ne sera pas du goût de tous. Cependant, The Overload échappe au pastiche et atterrit dans un endroit beaucoup plus coloré, frais et propice à la réflexion. C'est un premier album qui laisse entrevoir tout un monde de possibilités, et Yard Act possède, en son frontman, un auteur vraiment exceptionnel. Un grand groupe est en train de se trouver… et un disque à passer en boucle pour se mettre l’accent du Yorkshire bien dans l’oreille. Pour les yeux, vous avez les clips marquants… 

Pen E. Lane le 19/01/2022
Yard Act - The Overload - Zen F.C./Island Records