Skeud dira-t-on, le vite-fait des sons à portée de rentrée
L’été est passé d’averses en discours politiques servis façon poireaux vinaigrette par les décérébrés de la télé. De Jean Castex qui ressemble de plus en plus à une blague Carambar, aux rodomontades de l’Intérieur vacant du Darmanin, sans oublier les promenades phocéennes d’un candidat en pré-campagne. Assez de télé bol à raie, mais plus de sons qui importent : Sun Ra avec Landiquity, Drake avec Certified Lover Boy, Lady Blackbird avec Black Acid Soul, Equiknoxx avec Basic Tools Mixtape et un Bob Marley de rentrée, enregistré en 1973, les Capitol Sessions. Bienvenue dans vos oreilles. Avanti !
Jacques Denis vous a offert la version longue dans PAM, je vous la fait courte. Enregistré en une nuit au Blank Tapes de Bob Bank le 17 juillet 1978 après le passage de l'Arkestra au Saturday Night Live, l'album est unique dans le catalogue de Ra. "La plupart des critiques ont estimé qu'il s'agissait plutôt d'un disque d'inspiration fusion", explique Michael Ray. "Comme son nom l'indique, l'album est liquide et langoureux". Bob Blank poursuit : "Musicalement, il était très ad hoc et de forme libre. Il y avait des partitions de cor, mais la plupart des morceaux étaient issus de jams improvisés. Sun Ra a simplement fait son truc.” Cette nouvelle version ( dite définitive) comprend le pressage initial ainsi que des mixages alternatifs de Bob Blank, sortis à l'origine en quantités limitées pour un concert de l'Arkestra à Georgia Tech en 1978.
Composé de cinq morceaux d'une fluidité constante, l'album s'installe avec Lanquidity. Danny Ray Thompson se souvient : "C'était l'une des compositions de Sun Ra sur le vif. C'est presque comme une ancienne cérémonie égyptienne d'observation des étoiles, qui cartographie les étoiles et les planètes. " Where Pathways Meet est "la version funky de Sun Ra d'une marche égyptienne. Le pharaon envoie ses troupes au combat et c'est son discours d'encouragement", poursuit Thompson. "La musique semble prendre des chemins différents mais converge toujours". Le groove lent de That's How I Feel met en vedette les lignes de trompette réfléchies d'Eddie Gale, avec des solos de John Gilmore et de Marshall Allen : "Marshall entre en scène avec son hautbois au charme de serpent" dit Thompson. Le funky Twin Stars of Thence s'enroule autour de la célèbre ligne de basse élastique de Richard Williams, tandis que la conclusion obsédante, There Are Other Worlds (They Have Not Told You Of), est de la pure musique cosmique. Le poète Mama Nzinga l'a décrit comme "l'essence de la lumière". L'esprit fait un tour dans l'espace sombre et profond de la simple existence". Du lourd !
Dadam !!! Il aura suffi de 24 heures à Drake pour supplanter son propre record d’écoutes, détenu par son précédent album Scorpion . Selon Spotify et Apple Music, le nouvel album du rappeur canadien, Certified Lover Boy (CLB), est devenu l'album le plus streamé en une journée, avec 153 millions d'écoutes sur Spotify pour le seui 3 septembre. Et, si cette semaine, c’est le Donda du mégalo Kanye West qui décolle en tête du Billboard, on trouve le Drake bien plus intéressant, et pas que pour l’exploit car, il affiche à l’inverse de l’autre le recul et l’auto-dérision qui font mouche là où Kanye, malgré sa prod et ses idées, parle encore d’un monde ancien… 2 Bad !
Sur Certified Lover Boy, Drake se vend en prisonnier de l'empire qu'il a construit et du narrateur qu'il a créé. Le luxe et la mesquinerie, thèmes communs à Drake y sont persistants et donnent l'impression qu'il est fatigué des deux. Sur "In the Bible", il est avec un groupe de femmes qui prennent des shots au Tao Nightclub à Las Vegas et murmure, "You don't know love, you don't love me like my child". Plus tard, sur Pipe Down, il chante "How much I gotta spend for you to pipe down ?". Il ne se languit pas d'une vie plus simple ou même de son propre passé, comme il aurait pu le faire sur Nothing Was the Same de 2013 ou Views de 2016, mais juste quelque chose à apprécier, une raison d'être plus grande qu'un autre voyage sur Air Drake avec de la tequila sans limite - sérieusement, il a l'air désespéré quand il répète, " Lotta '42 on the flights I'm takin' ", sur la collaboration de Jay-Z Love All. Quand au problème Kanye, il lui taille un short de rentrée sur 7am On Bridle Path. Pan, t’es mort !
Des fois, quand je cherche des sons pour un mix, je replonge dans la soul psyché de Rotary Connection avec Minnie Ripperton et, en faisant défiler la colonne de droite de ToiTuyau, je fais des découvertes. Par rebond. Ainsi Lady Blackbird et son Black Acid Soul qui joue dans la cour de Nina Simone et Abbey Lincoln, sans forcer le trait. Il y a très peu de choses dans l’album qui soient identifiables à 2021, ni à aucune autre année. Marley Munroe, au surnom de Lady Blackbird, annonce son arrivée avec un premier album dont il est difficile de croire qu'il n'est pas l'aboutissement d'une carrière de six décennies, tant sa voix est empreinte de sagesse, d'expression et de contrôle.
Elle prend un ensemble de onze titres - dont sept reprises - et trouve des vérités qui s'appliquent d’abord à elle, afin de nous concerner par ricochet ensuite. Beware the Stranger est une version d'un titre de 1973 des Voices of East Harlem et, bien que la version de Munroe canalise un avant-goût des racines gospel funk de la chanson avec son accompagnement choral, tout accompagnement est impuissant à l'ombre de la voix imposante de Lady Blackbird. Collage, quant à lui, est un morceau qui a une histoire rock (écrit en 1969 par le James Gang) et oui, il y a un élan dans cet arrangement qui indique où Munroe pourrait aller à l'avenir si de telles conventions l'intéressent, mais ce qui est clair, c'est qu'elle ne se laissera pas décourager avant même d'avoir commencé.
Et l’intérêt de la puissance vocale de Munroe - qu'elle transmette une douleur et une lutte séculaires, avec des nuances à chaque tournure de phrase - est qu’elle pourrait en faire facilement trop mais qu’elle a choisi de l’éviter. Classe !
Après les divers efforts solos des membres (Gavsborg, Time Cow et Shanique Marie), Basic Tools d'Equiknoxx est le quatrième album du groupe jamaïcain le plus expérimental et le plus attachant depuis Ward 21. Ce dernier distille les vibrations du studio et la camaraderie créative de Kingston à Manchester, de Birmingham à New York. Soutenus par les chanteurs Bobby Blackbird, Kemikal Splash et une foule d'invités, laissant les plaisanteries de studio et les échantillons mal coupés dans le mix et, optant pour des performances vocales inspirées, en une seule prise, afin d'évoquer l'excitation et le va-et-vient des mixtapes classiques de dancehall et de hip-hop.
À travers le miroir d'Equiknoxx, une "chose" - un concept lyrique favori - peut devenir une fille, un pistolet ou un jeu de mots, et il n'est jamais très clair quand une banane est juste une banane. L'album commence in medias res, c'est le moins que l'on puisse dire, au milieu d'une phrase diffusée sur Irie FM de Kingston, déclenchant des ricanements collectifs avant que le beat ne tombe. Une inclusion étrange - et non une introduction - inexplicable et un tantinet troublante, qui ouvre la voie à toutes sortes d'échantillons tronqués qui surgiront tout au long de l'album.
L'attention portée aux détails sonores vient contrebalancer les éléments plus lâches de Basic Tools et donne lieu à certaines des meilleures punchlines de l'album, même si elles sont plus subtiles. Sur "Urban Snare Cypher", on ne sait pas si la caisse claire que l'on entend est la même que celle qui est ridiculisée dans les paroles ("Je peux parier que votre caisse claire s'appelle 'urban'..."), mais elle surgit de la texture spartiate du beat, dégoulinante de réverbération, en contraste avec une boucle de guitare coupée, sans hâte. "Thingamajigama" se situe à mi-chemin entre l'humour et l'obsession. Les paroles violentes et stylisées de la chanson sont accompagnées d'un échantillon de chanteurs de chorale, coupé et inversé en boucles sinistres. Dans les dernières secondes, l'échantillon est joué directement, révélant un fragment mélodique du vieux spiritual "Go Down Moses" sur le cliché littéraire "It was a dark and stormy night".
Equiknoxx ne relâche jamais ses efforts pour jouer avec des sons et des symboles puissants. Et des cymbales ! Des cymbales bégayantes et non quantifiées. Les flams abondent sur Basic Tools, joués sur des tambours, des guitares et d'autres objets sonores, apportant des touches Dilla-esque au minimalisme classique du dancehall. Le groupe s'appuie sur sa maîtrise des courants mondiaux et des techniques de production de pointe. Propulsé par une ligne de basse dynamique et une batterie swing 2-step, "Basic Tools Live" est une sortie UK garage convaincante, plaçant une fois de plus les accents jamaïcains au centre des choses. "This Song Is Not About Labeling Cables" combine une ligne de synthé bouillonnante qui rappelle le riff immortel du "Percolator" de Cajmere avec une ligne de basse fluide tout droit sortie des hymnes dancehall du début des années 90 comme Terror Fabulous et "Action" de Nadine Sutherland. Pour tous ceux qui n’entendaient que reggae roots, ça va sembler bizarre. Nous, on adore.
Et, pour terminer en beauté, le Marley de rentrée sans Bunny Wailer ni Peter Tosh : The Capitol Sessions de 1973 ; une année charnière pour Bob Marley. Son groupe, The Wailers, sort son sixième album studio en octobre, salué par la critique et couronné de succès commercial. Burnin' a été certifié or aux États-Unis et a été inscrit au registre national des enregistrements de la Library of Congress. L'album introduit "Get Up, Stand Up" ainsi que le futur tube d'Eric Clapton "I Shot the Sheriff". Mais Marley et les Wailers ne se reposent pas sur leurs lauriers au moment de la sortie de l'album. Le 24 octobre - cinq jours après la sortie de Burnin' - le producteur Denny Cordell (Leon Russell, Tom Petty and The Heartbreakers) enregistre le groupe en direct au Capitol Tower d'Hollywood.
Cordell a reçu la bénédiction de Marley pour enregistrer une douzaine de chansons au Capitole et a filmé le concert avec quatre caméras. Les images récemment découvertes ont été restaurées pour cette sortie, préservant Marley, le cofondateur Peter Tosh, Joe Higgs, Aston Barrett, Carlton Barrett et Earl "Wya" Lindo au sommet de leur art. Bien que les Wailers aient bénéficié de l'influence d'Island Records, ils ont subi un coup dur lorsque Sly and the Family Stone les a privés d'un créneau de tournée. Leur puissance était cependant indéniable et The Capitol Session montre la force de leurs interprétations sur plusieurs chansons de Burnin' ("Get Up Stand Up", "Burnin' and Lootin'", "Put It On", "Duppy Conqueror", "Rasta Man Chant") ainsi que de son prédécesseur tout aussi remarquable, Catch a Fire de 1973 ("Slave Driver", "Midnight Ravers", "Stop That Train", "Kinky Reggae" ou "No More Trouble"). The Capitol Session '73 est un nouvel ajout au style de Bob Marley. Peu de temps après son enregistrement, Peter Tosh a quitté le groupe ; Marley a relancé le groupe sous le nom de Bob Marley and The Wailers pour l'album Natty Dread de 1974. C'est leur premier disque sans Tosh et Bunny Wailer (qui a également quitté le groupe à la suite de Burnin'). Un live avec plus de hauts que de bas et surtout le son préservé des Wailers roots que vous pourrez vous offrir en cd, vinyle ou coffret CD + DVd . Stir It Up !
John Peters Simz, le 8/09/2021
Sun Ra - Landiquity - K7 records
Drake - Certified Lover Boy - UMG
Lady Blackbird - Black Acid Soul - Foundation Music/BMG
Equiknoxx - Basic Tools - Bandcamp
Bob Marley & the Wailers - Capitol Session 73 - Tuff Gong