L'auto-exploration radicale de John Coplans
D’abord peintre, John Coplans a ensuite été critique d’art, co-fondateur en 1962 de la revue Artforum, puis directeur de musées (The Art Gallery University of California, The Pasadena Art Museum et The Akron Art Museum). Il a aussi écrit des monographies d’artistes, Andy Warhol ou Ellsworth Kelly. Mais, en 1978, il s’est découvert explorateur-photographe sans rien y connaître. Et quel photographe…
Ce qui motive Coplans, c’est que le médium de la photographie représente alors pour lui le seul genre artistique à avoir encore un statut à conquérir dans le monde de l’art. Et il va salement bousculer les habitudes en franc-tireur habile. L’œuvre singulière qui en est issue est constituée d’autoportraits que l’artiste compose à partir de son corps nu. L’idée du corps morcelé s’impose à lui dès la première série de Self-Portraits (1984) et préside à la construction de tous ses autoportraits, exclusivement en noir et blanc. Après des séries de torses, de genoux ou de pieds, Body Parts [Parties du corps] (2001-2002) témoigne de nouvelles évolutions du travail : le corps de l’artiste mis en morceaux est réassemblé dans des montages organiques dépassant toute réalité (et tout réalisme) des composantes du corps humain. Caractérisés par l’absence du visage et dépourvus d’indices concernant le contexte de la prise de vue, les autoportraits de John Coplans recherchent une universalité et une objectivité de la représentation du corps.
L’utilisation de la chambre polaroïd de taille 50 x 60 cm, permet la réalisation de photographies de grand format où chaque détail – l’épiderme, les rides, la pilosité, etc. – témoigne du passage du temps. En exposant au regard du spectateur son corps nu et vieillissant, John Coplans interroge la place et l’image du corps dans les sociétés contemporaines, tout en explorant les possibilités du médium photographique (cadrage, lumière, point de vue). Si leur construction formelle est inscrite dans la contemporanéité, les autoportraits de John Coplans renvoient également à des pratiques historiques, voire archaïques ou totémiques : des parentés avec la statuaire primitive côtoient certains traits de la peinture abstraite américaine – sérialité, frontalité et fragmentation.
L’absence du visage et le choix du fragment comme élément plastique ont libéré un flux d’inventions et d’analogies formelles qui semblait inépuisable et n’a cessé qu’avec la disparition de l’artiste. Les images de Coplans sont tour à tour contenues et explosives, drôles, provocantes, toujours soigneusement méditées. Elles répondent à une exigence de clarté qui transfigure le pathos expressionniste.
L’exposition La vie des formes s’articule autour de trois ensembles. Aux petits tirages réalisés au début de la carrière photographique de Coplans (Torses, Dos, Mains, Pieds…) succèdent, en 1988, les grands formats et les montages combinant plusieurs fragments de corps pour constituer une image unique mais disjointe. Fin connaisseur de l’histoire des arts, Coplans a intégré à sa propre expérience les recherches d’artistes qu’il a étudiés, exposés ou côtoyés, tels que Carleton Watkins, Constantin Brancusi, Walker Evans, Lee Friedlander, Jan Groover, Philip Guston ou Weegee ; une sélection d’œuvres est présentée dans l’exposition.
Jim Backdoor le 20/12/2021
John Coplans - La vie des formes -> 16/01/2022
Fondation HCB 79, rue des Archives 75003 Paris