Avec Pharaon de Winter, un serial killer en cache toujours un autre

D’un côté, la France d’Hanouna fait clasher des invités chosifiés en choisissant ses sujets parmi les plus discutés sur les réseaux sociaux, c’est le volonté Bolloré d’un divertissement managé par un acculturé pour masquer les choses. D’un autre, de vaillants Gaulois…, pardon des artistes, usent de la chanson française pour dire un aujourd’hui, de plus en plus noir. ici, en usant des codes de la chanson à texte, Pharaon de Winter filtre sa vision du mode serial killers. Noir, c’est noir !

D’un château l’autre donc… Commençons par une image. C’est l’hiver dans les années 90 à Saint-Georges, du côté d’Auxerre, des enfants jouent au foot sur un terrain boueux sans savoir que quelques mois plus tard, à quelques mètres de ce même terrain, la police creusera le sol pour en extraire le corps d’une victime du tueur en série Emile Louis, dit le “boucher de l’Yonne”. Ensuite plusieurs décennies passent, et enfin l’image se met à bouger. Maxime Chamoux, qui faisait partie des gamins courant innocemment derrière le ballon ce jour-là, en a fait le point de départ d’une chanson, Quart nord-est, qui raconte cette France des crimes sordides et des faits divers médiatiques, et surtout la prise de conscience soudaine, pour ses enfants, que décidément, non, il n’y aura plus jamais, désormais, “d’histoires sans rien à creuser, plus d’histoires sans forêt, plus d’histoires sans rien enterrer”.

Et comme Chamoux n’aime pas les noirceurs enfantines qui (per-)durent, il officie également comme réalisateur pour Arte ainsi qu'auteur pour le magazine Society - il y a notamment co-écrit l'enquête sur Xavier Dupont de Ligonnès… ça en impose de suite et donne le recul pour aborder le sujet. Ecrit autrement , cela donne : “Comment construit-on sa propre prison? Comment des personnes creusent leur propre trou jusqu’à un point d’indicible? Et comment on s’en sort?” Alors, le Pharaon va s’y coller, envisager à partir des cas de figures évoqués, les plongées diverses dans l’abîme. Revenons à Auxerre, ses ballets roses entre notables, vu des années 60 et 70 - j’y étais et la touffeur provinciale catho bien pensante permettait juste de “ se tripoter le machin ou de toucher le bidule, mais jamais ô grand jamais de faire joujou avec le machin dans le bidule… “ - que du vécu ! Mes seuls souvenirs d’Emile Louis sont ceux d’un chauffeur de bus qui m’a longtemps balladé en groupe, quand j’ai aussi joué sur les mêmes lieux, cette fameuse forêt lisière entre Auxerre et Saint-Georges sur Baulche.

Chamoux, interrogé sur ses textes raconte ceci :

L'HABITACLE
Comme beaucoup, je suis à la fois terrifié et fasciné par l'histoire de Jean-Claude Romand. Ses crimes et sa préméditation sont terribles évidemment mais je crois que ce qui me fait le plus froid dans le dos, ce sont ces journées vides qu'il passait assis dans sa voiture garée sur des parkings ou des aires d'autoroute loin de chez lui. Que faisait-il de tout ce temps ? À quoi pensait-il ? Ecoutait-il de la musique ?

LA PLACE DU CHIEN
J'avais lu quelque part que Michel Fourniret avait comme autre passe-temps d'humilier son fils parce qu'il ne savait pas se servir de ses mains. Alors ce dernier avait pris un boulot d'ouvrier à l'usine mais très peu de temps après, une machine lui a arraché une main. Pour se punir de l'avoir poussé à prendre ce travail, Fourniret serait allé dormir dehors dans la niche du chien pendant plusieurs nuits. Un jour j'ai rêvé de cette anecdote et je l'ai mélangée, comme dans la chanson, à une histoire de train qui m'emmenait rejoindre quelqu'un, et qui arrivait en retard.

ON PARLE DE TOI
Je ne peux pas m'empêcher de penser - je suis même sûr - que les gens interrogés par les télés ou les radios parce qu'ils habitent dans le voisinage d'un criminel ressentent au fond d'eux (sous l'inquiétude pour leurs enfants, sous la colère vis-à-vis de ce voisin qui leur a menti) une forme d'excitation et de jubilation féroce à pouvoir témoigner du fait qu'enfin il se passe quelque chose.

Côté son, interrogé par Stéphane Régy, Chamoux envoie ceci.

Point de départ d’un disque entier. France Forêts est le deuxième album de Pharaon de Winter, le groupe que Maxime Chamoux a créé sur les cendres de ses précédents projets (Please) Don’t Blame Mexico et Toy Fight et qui avait jusqu’ici réussi à réconcilier, entre autres choses, le génie mélodique de la variété seventies de Véronique Sanson ou Lucio Battisti et l’esthétique –l’éthique– du rock indépendant anglo-saxon le plus exigeant. France Forêts approfondit cette démarche: il y a des chansons construites au piano, des arrangements de cordes d’une ampleur insoupçonnée, des refrains qu’on se surprend à chantonner dix jours après les avoir écoutés pour la première fois, des claviers raffinés, des chœurs ; et il y a aussi, plus que jamais, un groupe qui joue, concentré, ensemble, inquiet, visiblement de mauvaise humeur et tout en angles. “Angles” est le bon mot. “Je me suis lassé du côté ‘cocooning’ de la pop française actuelle, basée sur la rondeur, le douillet et le confort, avec des prods groove et moelleuses, explique Maxime Chamoux. Une musique où on a l’impression que tous les angles ont été gommés. Je voulais réussir un album où on arriverait à percevoir facilement quels instruments sont joués.” Dire que cet admirateur de Cate Le Bon, Manset et Deerhunter y est parvenu serait en deçà de la vérité, tant les dix titres de France Forêts, enregistrés par Angy Laperdrix, laissent la part belle aux musiciens qui l’épaulent: Xavier Guéant à la guitare (il y a des solos), Raphaël Ankierman à la basse (il y a des “lignes”), Antoine Kerninon à la batterie (qui maintient tout le monde sous haute tension). Le résultat: des compositions sophistiquées, mais un son brut ; des rythmes qui donnent envie de danser, mais sans jamais baisser la garde. Pour les amateurs de formules: William Sheller joué par Gang of Four. Ou les Novos Baianos en répétition dans les Vosges, pour ce que ça peut bien vouloir dire.

A tous les déçus de la chanson française qui n’écoutent plus que du hip-hop ou de la tek, avec Bonnie Banane, Claire Laffut et Anna Majidson, voici peut-être enfin l’occasion d’y revenir et de comprendre que si tout est codé, il suffit parfois de bien écouter et faire le tri pour savourer ce qui vous parle en direct ( fuck la variète!). Sinon, Hanouna vous laissera toujours spectateur d’une embrouille, quand ici on vous parle de vous et on s’attaque en douceur à la douleur de vivre. France Forêts versus Franche Démence ?

Jean-Pierre Simard le 26/10/2021
Pharaon de Winter - France Forêts - Vietnam/Because