Se laisser (re-)pousser les cheveux avec Mighty Baby
A un moment, The Action a été le groupe mod ultime, à balancer des versions anglaises exubérantes de Tamla/soul dans des clubs à travers la Grande-Bretagne, pour ensuite muter ; après s’être séparés de leur excellent chanteur Reggie King, en aventuriers de la contre-culture sous le pseudo de Mighty Baby. Histoire…
De 1968 à 1971, Mighty Baby a produit une musique magico/mystique, maintenant éditée en un coffret de 6 CD . Les rockeurs qui détestent le psychédélisme ne sortant pas du moule garage/surf made in USA sont pourtant tous adorateurs de la période The Action, pour mieux détester ensuite le virage psyché, pensé à partir d’une révision du folk anglais. On les met K.O. en sortant le joker ultime, le Electric Eden de Rob Young, une histoire de la pop britannique en partant de ses racines dans les ballades recueillies par les folkloristes de la fin du XIX e siècle. Et le point fort du livre est de montrer les années 60 et 70 avec les révolutions apportées par quelques groupes et / où comment les groupes ont croisé la chemin du folk à un moment donné. Pour d’autres oublieux, c’est la démarche adoptée depuis 20 ans par Julian Cope en quête de racines morales autant qu’ancestrales en rapport avec le cosmos et une démarche libertaire. Mais la surprise sera de découvrir où cela les a mené. Ce super bouquin, édité chez Faber & Faber à Londres, attend encore sa traduction en français, un vrai scandale !
Sous la direction du guitariste Martin Stone, Mighty Baby a plongé au-delà ses racines anglaises et trouvé une voie bien perso pour l’exprimer : quatre des cinq membres du groupe se convertissant à l'Islam et s'orientant lentement vers un son plus improvisé. Fin 1971, le jeûne du Ramadan les a laissés presque trop faibles pour se produire sur scène, c'est alors qu'ils ont conclu à contrecœur que le rock'n'roll et la foi musulmane étaient incompatibles ; après un mémorable set à Glastonbury…
Le coffret comprend tous les enregistrements qui ont survécu, avec les albums studio notoires Mighty Baby et A Jug Of Love, auxquels s'ajoutent des répétitions, une version alternative inédite du premier album, le son de la seule apparition du groupe à la télévision et d'autres titres studio. Il comprend également trois heures de matériel live datant de 1971, avec 90 minutes de leur légendaire apparition à Glastonbury et des versions inédites de "Virgin Spring", "Goin' Down To Mongoli", "Woe Is Me", "Devil's Whisper" et, plus excitant encore, la somptueuse version complète de 36 minutes de "A Blanket In My Muesli", jusqu'ici perdue. En voici une plus connue, mais courte ci dessous … Ce qui me rappelle justement que, si vous pouvez ( sans crasher votre carte bleue…) mettre la main sur le triple vinyle consacré à la grande fête de Glastonbury 71 intitulé Revelations at the Glastonbury Fayre 71, vous y croiseriez aussi bien Gong que David Bowie, Hawkwind que Renaissance et Mighty Baby avec une tonne d’autres ( Deviants et Grateful Dead compris). Le côté free jam pourra en agacer certains, mais les autres y choperont une radiographie assez précise du son psyché de l’époque, dans toutes ses déclinaisons possibles. Essayez pour voir, ça mérite le déplacement.
Ici, tous les morceaux ont été remasterisés, avec d’autres prises de A Jug Of Love et les deux faces du single non-LP Devil's Whisper réédité pour la première fois à partir des bandes originales. En plus de la zic, le coffret offre un paquet de photos et de paraphernalia, ainsi qu'un essai de 12 000 mots qui couvre toute la période, à l'aide d'extraits de The Average Whiteman, l’autobiographie inédite de Ian Whiteman, membre-clé du groupe, Le coffret montre la route d’un groupe qui a occupé quelques années durant l’espace musical anglais d’une bien belle et étrange manière ; se calant deux fois de suite au firmament du rock underground, et en faisant durablement exploser quelques consciences, après avoir franchi beaucoup de limites musicales avec The Action, symbolisées pour eux par leur reprise introductive du India de Coltrane.
Comme entrée en matière aux free jam psyché de ce temps-là, c’est une porte comme une autre, mais elle a le mérite d’avoir été vécue synchro et de le dire sans détour. Les deux premiers albums sont vraiment bien et les docs de bon niveau. Quant aux inédits dont les live, c’est carrément du grand !
Jean-Pierre Simard le 6/04/2020
Mighty Baby - At a Point Between Fate and Destiny/The Complete Recordings- Cherry Red