Le féminisme dionysiaque de Maisie Cousins
On se laisse facilement prendre au féminisme dionysiaque de Maisie Cousins, une photographe anglaise de 25 ans qui fait s’entrechoquer luxe et féminisme subversif pour retourner les clichés d’une vision strictement masculine de la femme.
Ce que je trouve formidable dans les médias sociaux, c'est que vous élargissez votre public - le public, le monde de l'art, le monde commercial, d'autres artistes, tous le voient. Cela rend l'art moins exclusif, ce qui est si important et nécessaire pour que l'art progresse. Je pense aussi que c'est extrêmement important en ce moment, avec le gouvernement actuel du Royaume-Uni qui fait d'énormes coupes dans les arts.
Active sur les réseaux sociaux depuis 10 ans, Maisie Cousins s’est fait un nom sur Instagram avant de trouver un point d’ancrage à la galerie TJ Boulting. Et si, comme nombre de ses collègues féminines, elle n’a de cesse de promouvoir leurs œuvres, comme pour rattraper le temps perdu du défaut flagrant de visibilité de la gent féminine sur le marché de l’art. Ce réseautage l’a fait participer à l’ouvrage Girl on Girl de Charlotte Jansen (Laurence King Publishing 2019), qui présente des femmes artistes utilisant la photographie et Internet pour explorer l'identité et l'image de soi.
A Cindy Sherman, elle emprunte le Larvatus Prodeo de Descartes, cette façon d’en montrer plus en posant le filtre du masque comme révélateur du discours. A Pipilotti Rist, le côté orgiaque. On retrouve parfois dans certains clichés de Cousins des images de « Pepperminta », même saturation sucrée des couleurs, goût identique pour les corps sans apprêt qui se roulent dans l’herbe et les fleurs pulpeuses, avec les même gros plans aux flous charnus des épidermes parcourus de près par l’objectif. Tout ceci sous un éclairage qui évite les ombres, exalte les détails organiques ou ce qui est considéré comme des « imperfections ». Et enfin, à Greenaway l’approche frontale exacerbée de l’organique, du liquide, du turgescent, et du visqueux, emplie de pulsions compulsives de la vie à la mort ; ce changement d’état du flux grouillant de la vie. La Nature est intimement enchâssée dans la culture, ce masque tantôt festif, souvent morbide qui inclut des éléments du luxe toujours annihilés dans le sans fard, le cru, le dénudé brut ; pour faire bonne mesure. Les maquillages y sont dégoulinants, les ongles sales, les ventres et cuisses légèrement velus, les aisselles et pubis non épilés. Nous sommes à l’opposé de l’afféterie de l’imagerie du luxe, pourtant on y baigne littéralement. Le cliché dérape, en créant un nouveau trouble…
A retourner les clichés en vigueur, elle brise le moule des représentations des corps, des pulsions et du désir - en particulier des femmes. Et, à flirter avec le kitsch de la publicité trash, elle n’y sombre jamais ; pour la raison essentielle que ce qui marque avant tout sa volonté de montrer le corps des femmes vraies est d’une franchise dont l’honnêteté ne peut être mise en cause ; à l’exact inverse du trash commercial foncièrement hypocrite, racoleur et véhicule des pires poncifs.
A la fois - tour de force - direct et allusif, le travail de Maisie Cousins suggère sans réifier. Chacune de ses images a la force de ce que chacun peut découvrir de sa propre expérience du désir et du désirable. La puissance de ses images frappe entre les yeux, en restant à la frange du trash kitsch et du baroque élimé. Pas mal, non ?
J'aborde naturellement le travail sous l'angle du féminisme, mais je ne pense pas qu'il existe une esthétique féministe. Féminine, bien sûr - j'utilise beaucoup de couleurs classiques féminines et beaucoup de fleurs qui sont pour la plupart associées aux femmes.
En savoir plus sur son travail ici et là
Jean-Pierre Simard
Maisie Cousins : montrer son cru